Transformation du monde du travail : réorganiser les entreprises aux aspirations des salariés

Le monde du travail, source de stress pour de nombreux salariés, révèle une inadéquation flagrante entre les aspirations individuelles et l’organisation des entreprises. Cette disharmonie génère un profond sentiment de lassitude et de frustration…

De quoi parlons-nous dans cet épisode ?

Aujourd’hui, nous allons plonger au cœur de cette transformation nécessaire des structures bureaucratiques avec notre invité : Jérôme Friteau, Directeur des Relations Humaines et de la Transformation au sein de l’Assurance Retraite. Vous vous demandez peut-être pourquoi « Relations Humaines » ? La réponse est simple : Jérôme croit fermement que l’essence même des RH repose sur la qualité des relations humaines.
Les signaux précurseurs de la crise actuelle du travail étaient perceptibles bien avant le bouleversement provoqué par la pandémie. Nous avons assisté à une évolution progressive des paradigmes du travail, marquée par la montée de l’individualisme, les défis de conciliation (vie pro vie perso), et des attentes grandissantes des salariés envers les entreprises.
Le changement a été rapide avec l’irruption de la COVID-19. Cette parenthèse inattendue a incité de nombreux citoyens à se questionner sur leur vocation, entraînant une vague de remises en question.
En tant que RH, managers et dirigeants, nous ne pouvons plus simplement considérer les entreprises comme des entités isolées. L’engagement en entreprise est un sujet brûlant, mais en observant l’engagement des salariés dehors de leur travail (que ce soit pour des causes climatiques, mouvements tels que Me Too, ou encore les Gilets Jaunes), nous réalisons que ces individus sont passionnés par des causes qui leur tiennent à cœur. Cependant, cet engagement ne se reflète pas toujours au sein de leur travail.
La quête de passion au travail est une aspiration légitime. Est-il de la responsabilité de l’employeur de susciter cette passion chez ses employés ? La réponse est un oui catégorique. Jérôme nous dévoilera comment des projets d’intrapreneuriat, tels que la création de start-ups internes, permettent d’engager et d’inspirer les salariés. Ces initiatives transversales redéfinissent l’entreprise et la transforment en un lieu où chacun peut se reconnaître. Nous passons ainsi du standard au sur-mesure.
Pour en savoir plus, écoutez cet épisode !
Belle écoute ! 🌞

Thèmes abordés : 

  • Critique du modèle de management traditionnel
  • Simplification des processus et libération du management
  • Encouragement des expériences intrapreneuriales
  • Nécessité de briser l’exclusivité du travail dans l’urgence
  • Importance de l’inclusion et de la diversité dans le milieu professionnel

Ressources que nous vous proposons : 

  • Gagnez en sérénité en acceptant votre charge mentale
  • Prendre du temps pour soi et revenir à l’essentiel, oui, mais comment ?
  • Arrêtons d’être parfait.e : les clés pour gagner en sérénité
  • Slow life : et si on prenait le temps de vivre ?

À propos de ce podcast

« Stop à la charge mentale ! » est un podcast de Magaly Siméon, experte QVT, charge mentale et conciliation, produit par Lily facilite la vie.

💡 Comment soutenir efficacement les salariés face aux défis liés à la charge mentale ? Comment aborder de manière proactive, les questions de stress au travail au sein de votre organisation ? Comment maintenir un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, sans compromettre votre bien-être ? Ces questions cruciales trouvent leurs réponses dans chaque épisode  de « Stop à la charge mentale ».

Rejoignez-nous chaque semaine pour révolutionner votre approche du stress au travail. Nous explorons les conséquences du stress sur les entreprises, équilibrons vie professionnelle et vie personnelle, et mettons en avant la Qualité de Vie et des Conditions de travail (QVCT).

Que vous soyez manager, dirigeant, professionnel RH ou salarié en quête de réponses, ce podcast est votre rendez-vous hebdomadaire pour des solutions pratiques et une inspiration revigorante.

Vous n’avez pas le temps d’écouter l’épisode ? Lisez-le

Introduction

Magaly Siméon : Une des sources de stress au travail réside certainement dans une inadéquation entre l’organisation des entreprises et les aspirations des salariés, ce qui crée de la frustration, de la lassitude, voire des craquages.

Cette inadéquation semble porter sur la notion de bureaucratie, qui est une forme de désengagement dans l’entreprise. Aujourd’hui, je reçois Jérôme Friteau, qui croit dans la capacité de transformation des structures bureaucratiques. Et à ce titre très singulier, je vous souhaite une très bonne écoute.

Bonjour Jérôme.

Jérôme Friteau : Bonjour Magali.

Magaly Siméon : Merci d’être avec nous. Est-ce que vous voulez bien vous présenter pour nos auditrices et nos auditeurs ?

Jérôme Friteau : Avec plaisir. Jérôme Friteau, je suis directeur des relations humaines et de la transformation pour l’assurance retraite, avec une double casquette. Je suis DRH opérationnel d’une grosse entité, l’assurance retraite, caisse nationale, avec 3600 collaborateurs, un job de DRH classique. Et j’ai aussi la particularité d’animer un réseau de DRH des entités régionales, les Cars. Donc j’ai le plaisir d’animer un réseau de 15 DRH pour un total de 14 000 collaborateurs.

Critique du modèle de management traditionnel

Magaly Siméon : Vous l’avez tout de suite formulé dans la présentation, vous rebaptisez les ressources humaines en relations humaines. Alors, j’aurais envie de dire marketing ou y a-t-il une vraie différence entre les deux ?

Jérôme Friteau : Moi, je pense qu’il y a une vraie différence. Effectivement, la gestion comptable des autorisations de recrutement, de l’affectation des ressources humaines est toujours présente, mais elle est largement minoritaire dans mon emploi. Je pense que je passe beaucoup plus de temps dans la relation humaine que dans la gestion de tableaux Excel. Et c’est vrai, que ce soit avec les partenaires sociaux, que ce soit dans ma présence au COMEX ou dans ma relation avec les dirigeants, que ce soit dans ma relation avec les salariés eux-mêmes. Finalement, quand on est DRH, y compris d’une grosse entité, on fait beaucoup l’ascenseur entre l’individuel et le collectif, l’opérationnel et le stratégique, que ce soit aussi dans ma relation avec les DRH des Cars, qui sont de vrais DRH dans des entités ayant la personnalité juridique, mais que j’essaie d’accompagner avec une vision peut-être plus transverse. Eh bien forcément, je suis beaucoup dans la relation humaine. Et je pense aussi qu’il y a un petit symbole, effectivement, en rebaptisant cette fonction. Et je crois qu’il est extrêmement important, à l’heure où on essaye de tout automatiser, de conserver notre valeur ajoutée sur la question de la relation humaine.

Magaly Siméon : C’est la question qui me venait à l’esprit. Quand vous dites qu’à un moment donné, on était beaucoup plus dans le cadre de la norme, le process, est-ce que cela veut dire que cette partie-là a disparu, qu’elle a été automatisée et qu’elle a donc pu laisser de l’espace à plus de relations ?

Jérôme Friteau : Elle n’a pas disparu, elle est encore présente. On essaye d’automatiser un maximum de choses pour repositionner justement les acteurs RH sur de la valeur ajoutée, eux aussi sur de la relation humaine. Je vais faire un clin d’œil à mes équipes de gestion administrative et de gestion de la paie. On essaye effectivement de capitaliser sur les évolutions technologiques, sur des SI plus performants, sur l’émergence de GPT génératif. Nous avons mis en place un chatbot RH il y a cinq ans maintenant, pour essayer d’évacuer les questions récurrentes et de faire en sorte de positionner les acteurs RH sur de la valeur ajoutée. Et puis, mon rôle, c’est de ne pas m’enfermer dans la dimension administrative et purement régalienne du job, parce que sinon, je vais avoir une casquette qui va me réduire mon champ de vision.

Magaly Siméon : Alors, vous considérez que la crise du travail n’est pas récente et qu’elle a démarré il y a plusieurs années. À quoi l’avez-vous constatée ? Quels ont été pour vous les premiers signaux faibles de cette crise du travail ?

Jérôme Friteau : Avant de parler de crise du travail, je parlerais de mutations du travail. Ces mutations ne sont pas récentes. Nous avons vu progressivement émerger un rééquilibrage, peut-être aussi avec la montée de l’individualisme, du « penser à soi ». Avec les avantages et les inconvénients : les avantages, c’est de ne plus dévaloriser le travail, mais il y a les inconvénients du repli sur soi. Quand on demande leur avis aux salariés, ils disent « moi, je », au lieu de « nous ». Cela, on l’a senti il y a presque une dizaine d’années. En tout cas, j’ai commencé à travailler sur le télétravail en 2014, sur la flexibilité horaire en 2018, sur toute une série de dispositifs permettant de redonner de la liberté d’organisation aux salariés. On sentait cet attachement croissant, et pas seulement générationnel, contrairement à ce que l’on dit parfois, à ces enjeux de conciliation. Dans un territoire comme l’Île-de-France, où la vie n’est pas toujours simple, pour concilier toutes ces vies, personnelles aussi, parfois compliquées, avec des familles monoparentales en augmentation, des difficultés liées à la garde des enfants, au prix de l’immobilier, etc. On sent bien que les attentes par rapport à l’entreprise ont évolué.

Avant la crise sanitaire, j’avais lancé une formation obligatoire, une formation-action pour l’ensemble des managers sur ces mutations du travail, pour réfléchir à ce que nous pouvions changer dans le management du quotidien. On sentait déjà que des salariés souhaitaient participer plus activement à la détermination de la stratégie qui les impacte au quotidien. J’avais fait travailler les managers sur leurs périmètres de délégation et examiner, avec leur N+1 et leurs équipes, les différences entre les différentes strates. C’était aussi l’émergence du digital. Nous avions mis en place Office 365 avec tout un pack de solutions d’outils collaboratifs, pour savoir comment se repérer dans des dispositifs de travail à distance, de travail asynchrone, de travail collaboratif. Comment naviguer là-dedans. J’avais des managers qui se disaient que les RH se faisaient plaisir. Ils pensaient avoir un vrai métier et je ramais pour les faire venir dans les ateliers. Mars 2020, tout le monde a compris ce que voulait dire les RH. Et pourtant, honnêtement, je n’avais absolument pas pressenti ce qui allait arriver. Mais c’est pour cela que je parle de mutations du travail. Elles ont été progressives. Il y a eu un gros coup d’accélérateur avec la crise sanitaire, car la prise de conscience a été plus forte. Beaucoup de citoyens se sont posé des questions pendant cette période. C’est pour cela que beaucoup de professionnels de la restauration, par exemple, se sont demandé s’ils avaient encore envie de ce métier. C’est pour cela qu’il est aujourd’hui difficile de recruter dans certains métiers. Il y a eu beaucoup de remises en question personnelles. Maintenant, on peut parler de crise du travail, car il faut étudier toutes les conditions de positionnement des professionnels et étudier ces conditions de travail à l’aune de ces nouvelles attentes. Mais nous l’avions vu progressivement.

Simplification des processus et libération du management

Magaly Siméon : Ce qui est intéressant, c’est que vous positionnez une partie de ces évolutions dans le changement de la vie personnelle de vos salariés. En fait, vous dites que ce n’est pas juste le monde de l’entreprise qui a changé, mais que leur vie a changé. Et donc cela les positionne différemment, avec une crise sanitaire qui a renforcé cette vision d’un changement de la vie personnelle. C’est intéressant, oui.

Jérôme Friteau : Je crois effectivement. Enfin, moi, je tire beaucoup d’éléments de stratégie RH des inspirations sociétales. Je pense qu’il faut guider notre action et examiner le monde de l’entreprise à l’aune de ce qui se passe dans la société. On ne peut pas raisonner en vase clos.

On parle beaucoup d’engagement dans les entreprises. On rêve d’avoir la solution miracle pour des salariés engagés, pour dépasser la motivation et aller vers l’engagement. Et quand on regarde les exemples d’engagement viscéral des citoyens, ces sources ne se trouvent jamais dans le monde du travail ou très rarement. En effet, les motivations sont souvent issues d’une remise en question, d’une réaction par rapport à un événement. Que ce soit l’engagement climatique, le mouvement #MeToo, ou les Gilets Jaunes, on voit bien que les citoyens sont capables de se fédérer et de s’engager, mais pas encore sur des aspects très professionnels. Ou alors, ce sont des entrepreneurs qui, ayant un travail passion, se positionnent là où ils ont envie d’être et d’apporter leur valeur ajoutée.

Magaly Siméon : Pour parler du changement des attentes des salariés, vous avez utilisé cette jolie expression que je n’avais jamais entendue : « la quête d’être passionné ». Ce que vous venez de dire soulève une question : le rôle de l’employeur est-il de passionner les salariés, et est-il possible de passionner ses salariés pour générer ce Graal d’engagement ?

Jérôme Friteau : Passionner, c’est très dur et j’ai utilisé ce terme à dessein. Aujourd’hui, c’est difficile. Je le vois à travers des exemples. Nous avons maintenant des salariés qui demandent des ruptures conventionnelles pour devenir naturopathes. Je plaisante souvent en disant que les quadragénaires veulent devenir naturopathes et les quinquagénaires veulent ouvrir un gîte à la campagne. Il y a des tendances comme cela qui émergent, et on sent bien qu’il y a des projets de vie. Là encore, je fais le lien entre vie professionnelle et vie personnelle. On sent de la passion. Après, il y a des initiatives qu’on peut générer qui créent des petites étoiles dans les yeux.

Nous venons de terminer la deuxième saison d’un projet d’entrepreneuriat que nous avons baptisé « La Petite Entreprise ». Nous avons créé quatre startups internes avec des profils venant de toute la France, qui ont candidaté et ont été accompagnés sur un projet où ils avaient carte blanche pour concevoir un premier livrable. On voit à quel point on est capable de créer un engagement très élevé avec des gens qui ne comptent plus leurs heures et sont passionnés par leur sujet, qui pitchent devant un jury final avec des étoiles dans les yeux. Là, on touche du doigt quelque chose. Nous avons fait des variantes. Actuellement, des salariés de l’assurance retraite, Caisse Nationale, travaillent sur un projet baptisé « Le Projet dont Vous Êtes le Héros ». Il s’agit d’établir le bilan carbone d’un dossier de retraite et d’essayer de commencer à s’intéresser à l’impact carbone de notre activité, de notre métier, car finalement, le service public embarque le fil en carbone du pays. Voir comment on peut améliorer cet impact.

C’est à travers des projets transversaux comme cela qu’on voit que les salariés, à travers l’impact qu’ils vont avoir, peuvent être embarqués. De là à dire qu’ils sont passionnés, je suis très prudent avec les termes, mais en tout cas, heureux de contribuer à une œuvre commune. C’est déjà important.

Encouragement des expériences intrapreneuriales

Magaly Siméon : Mais finalement, dans ce que vous décrivez là, est-ce que ce n’est pas un peu le retour d’un certain « nous »? Finalement, vous dites au début qu’on est très « je » et on le voit bien. Mais quand vous parlez de projets transversaux, je suppose qu’ils ne sont pas tout seuls. N’est-ce pas une autre forme de « nous » où ils trouvent du plaisir, et où ils retrouvent le « nous »?

Jérôme Friteau : Oui, c’est ça. Sur l’expérience d’intrapreneuriat, on voit des gens de différentes régions françaises qui ont un peu de mal à se quitter à la fin de l’aventure. Il y a vraiment un attachement qui se crée, alors même que l’expérience est concentrée sur six ou sept mois. Ils sont plus proches des gens avec qui ils ont travaillé pendant cette expérience un peu unique que de leur équipe de travail quotidienne avec laquelle ils travaillent parfois depuis dix ans. C’est un autre « nous ». Oui, c’est un autre « nous » qui se compose avec une expérience singulière et une convergence de vues et d’engagement, à la différence du quotidien de travail où on peut rejoindre une équipe de géométrie très variable avec une place du travail extrêmement différenciée. Finalement, ce n’est peut-être pas la fin du « nous ». On va devoir réinventer des « nous » de géométrie variable, des « nous » temporaires, des « nous » choisis.

Magaly Siméon : Ce qui amène à un sujet pour le management : il doit s’adapter. On voit bien qu’il y a déjà une adaptation qui doit se faire entre passer de l’égalité à l’équité. Et dans ce que vous décrivez, il faut passer du standard au sur-mesure, car nous aurons des « nous » différents. Dans une entreprise comme la vôtre, qui a une tradition plus bureaucratique, comment le manager passe-t-il du standard au sur-mesure dans l’accompagnement de ses collaborateurs?

Jérôme Friteau : Il y passe déjà en observant ce qu’il a vécu lui-même. Moi, j’ai beaucoup capitalisé sur l’expérience de la crise sanitaire, où toutes les inégalités entre les salariés nous ont sauté aux yeux. Pendant cette crise sanitaire, les managers se sont retrouvés seuls aux manettes avec un collectif à distance. Ils devaient gérer des salariés très isolés, des jeunes dans de petits appartements, ceux avec leurs enfants confinés nécessitant de leur faire l’école, ceux touchés par la maladie, ceux étant aidants familiaux, ceux bien équipés avec du matériel de bonne qualité, et ceux à la campagne bénéficiant d’un extérieur. Les inégalités étaient énormes. La frontière vie professionnelle/vie personnelle avait complètement sauté. Les enfants passaient derrière la caméra, les chats aussi, et tout cela était intégré dans un monde où traditionnellement la vie personnelle était séparée de la vie professionnelle.

Les managers ont dû faire du sur-mesure. J’ai suspendu l’utilisation des badges pendant toute la période de crise et de confinement, car cela n’avait plus de sens. Certains ne pouvaient plus travailler de jour avec leurs enfants à la maison. Les managers ont tiré le meilleur de chacun de manière différenciée dans un sentiment global de justice sociale. Tout le monde comprenait que quelqu’un avec le Covid ne pouvait pas se positionner de la même manière que quelqu’un en pleine forme. Ceux qui se sentaient isolés avaient besoin de plus de temps de partage. Quand nous sommes sortis de cette période, j’ai vraiment engagé le collectif managérial à réfléchir sur cette notion d’inégalité entre les salariés, qui reste criante même en période classique. Nous avons un taux d’emploi de salariés en situation de handicap supérieur à 8 %, plus de 70 % de femmes, tous les âges représentés, une énorme diversité de métiers et de profils. Nous ne sommes pas une entreprise qui recrute uniquement dans deux écoles, prétendant faire preuve d’ouverture en recrutant à Sciences Po. Nous avons des profils très variés, avec des capacités et des possibilités d’impact différentes. Il est extrêmement important de sortir de cette logique utopique qui consiste à appliquer les mêmes règles à tous les niveaux de l’organisation, renvoyant les managers au rôle de boîte aux lettres, appliquant de manière homogène des processus définis tout en haut. C’est un métier simple mais inintéressant, et qui ne répond plus aux attentes des salariés.

Nécessité de briser l’exclusivité du travail dans l’urgence

Magaly Siméon : Cela nous amène à un sujet sur lequel vous avez fait couler un peu d’encre. Cette vision égalitariste est aussi une vision assez bureaucratique. Vous avez titré une de vos tribunes « Rejoignez une équipe dynamique dans une organisation bureaucratique ». J’ai apprécié particulièrement la formule, ayant moi-même travaillé dans une organisation bureaucratique. Vous avez dit, et j’ai trouvé la phrase très illustrative : « À mesure qu’une entreprise croit, de nouvelles couches de management sont ajoutées, les catégories d’emplois et de niveaux statutaires se multiplient, les règles prolifèrent et les coûts de mise en conformité augmentent. » Cela ressemble à beaucoup de grandes entreprises françaises aujourd’hui. Comment sortir d’une structure comme cela? Comment amener des managers, qui ont grandi dans ces structures, à bouger vers de l’équité plutôt que de l’égalité, de l’individualisation, de l’agilité? Comment faites-vous? C’est un vrai enjeu français.

Jérôme Friteau : Alors cette tribune, j’ai essayé de m’extraire, justement de mon écosystème direct et de raisonner peut-être plus global parce qu’à travers ce que je peux observer un peu partout. Je pense que c’est incroyable de constater qu’aujourd’hui, au XXIe siècle, nous avons positionné un modèle quasi unique dans les grandes entreprises. Il n’y a pas vraiment d’alternative aujourd’hui. Nous avons quelques tentatives d’entreprises libérées auxquelles je ne suis pas forcément favorable, mais je suis sûr qu’il serait surpris lui-même de voir, notamment dans les services, qu’on applique un modèle qui, au départ, a été conçu pour développer la productivité dans le monde industriel. Et cela a d’ailleurs formidablement bien fonctionné. Cependant, à l’aune des nouvelles attentes de travail asynchrone et de la recherche de flexibilité, ce modèle crée beaucoup de désengagement.

Il reconnaît beaucoup finalement le rôle non productif, c’est-à-dire celui qui définit les process, qui est en charge de la consolidation du reporting, d’une certaine supervision, et c’est souvent celui-là qui est le mieux rémunéré. Ce modèle mérite aujourd’hui d’être considérablement réinterrogé, mais cela ne se fera pas du jour au lendemain. Ma tribune n’avait pas pour vocation de réinterroger et de renverser la table du jour au lendemain. Cependant, je pense que réfléchir est déjà un bon début, comme les démarches que nous essayons d’entreprendre en simplifiant tout ce qui peut l’être dans les processus. Car finalement, nous générons beaucoup de complexité à l’intérieur même de la structure, sans contraintes exogènes.

Il y a le règlementaire, et je sais de quoi je parle dans une activité très normée. C’est pour cela que notre ligne de crête n’est pas évidente, parce que notre activité est extrêmement normée par le législateur. On le voit bien dans un débat comme celui de la réforme des retraites dont nous sommes l’opérateur principal. Cela partait d’une idée potentiellement simple, mais après le débat parlementaire, le sujet est devenu plus compliqué. Donc, simplifier tout ce qui peut l’être à l’intérieur de l’entreprise et revisiter en permanence les raisons de tels processus, de tels reportings, de telles modalités de supervision, etc.

Nous essayons d’éviter la création permanente de postes d’appui au pilotage, car les personnes recrutées sur des modèles de type PMO ont besoin d’exister. Leur existence dépend de leur capacité à s’emparer complètement de leur poste et à inventer en permanence de nouveaux circuits et de nouveaux process pour justifier leur rémunération et leur place. Encourager des expériences intrapreneuriales est quelque chose en quoi je crois beaucoup, même si je suis convaincu que l’intrapreneuriat ne peut concerner qu’un à deux pour cent des salariés. J’avais participé à une recherche collaborative avec des entreprises plus matures que la mienne sur ces sujets comme Safran, qui était très engagé sur la question de l’intrapreneuriat.

Cela envoie un signal. Et si vous avez des participants, plusieurs années de suite, provenant de différentes structures dans votre entité, vous avez un germe qui se crée, des salariés qui se disent qu’ils peuvent être les ambassadeurs de nouvelles modalités de fonctionnement. La libération du management est un élément extrêmement important de mon point de vue, c’est-à-dire une délégation explicite, la plus large possible. Il faut éviter que chaque mail soit en copie avec toute la ligne managériale, ce qui prolifère des écrits, des mails, des notes, etc. Il faut limiter ce nombre de strates managériales. Il faut revisiter et réinterroger ces questions de lits de strates managériales, éviter de créer des postes d’adjoint pour avoir un relais pendant les vacances.

Je crois aussi beaucoup aux dispositifs d’évaluation plus responsabilisants pour les salariés, favorisant l’échange sur la charge de travail et l’ambiance de l’équipe. Cela porte des germes de changement. Il est crucial d’arrêter de faire des évaluations uniquement chiffrées sur la base de KPI. Il faut aussi professionnaliser l’intégration du ressenti des collaborateurs dans les pratiques managériales.

Aujourd’hui, il existe des outils technologiques permettant de créer des indicateurs de performance sociale, bousculant la seule vision économique. Nous devons également briser l’exclusivité du travail dans l’urgence, ce qui est un défi difficile. J’ai testé avec un chercheur le concept d’atelier de dialogue sur le travail, visant à rapprocher le prescrit du réel en créant des espaces de dialogue pour réinterroger les modes de fonctionnement, les process et les procédures. Ces espaces permettent aux salariés d’avoir un impact réel, sous réserve que des décisions soient prises en conséquence. La simplification de tout ce qui peut l’être à l’intérieur de l’entreprise est essentielle.

Importance de l’inclusion et de la diversité dans le milieu professionnel

Magaly Siméon : C’est une sacrée leçon de dé-bureaucratisation que vous nous donnez. Je vais fortement encourager certains de mes collègues à écouter ce podcast. J’ai créé une dérivation de ma boîte mail pour ne plus lire les mails où j’étais en copie car cela me créait du stress. Après deux ans, j’ai réalisé que cela n’avait posé aucun problème. Merci beaucoup.

Je ne résiste pas à poser une dernière question. Je vous suis sur LinkedIn avec beaucoup d’intérêt et je constate que vous êtes engagé en faveur de l’inclusion avec authenticité. Pourquoi cela est-il aussi important pour vous, Jérôme ?

Jérôme Friteau : Je pense qu’aujourd’hui, certains dirigeants ont compris que le rôle de l’entreprise dans l’équilibre de la société est de plus en plus fort. Le poids du politique s’étiole un peu, et on voit bien qu’on ne peut pas tout normer par des lois, même si certaines ont bien fonctionné en France, comme celles sur l’égalité entre les femmes et les hommes. La politique de quotas a marqué des points sur le rééquilibrage. Je crois que c’était inévitable.

L’entreprise doit se responsabiliser sur tous les champs de l’inclusion et de la diversité. Dans une vie, il y a beaucoup d’accidents et de moments où la santé ou des situations familiales peuvent avoir des incidences. Il y a donc une série de situations qui concernent tout le monde. La société se complexifie et nous devons envoyer un signal à autant de communautés qu’il y a de situations. Les entreprises les plus modernes seront celles capables de s’adapter à la singularité des individus, que ce soit les origines sociales, l’orientation sexuelle, etc., en offrant une sécurité psychologique.

Je pense qu’au-delà de ma mission personnelle et d’un certain humanisme, il y a un enjeu réel de fonctionner ensemble, de sortir de l’individualisme et de capitaliser sur la complémentarité que l’inclusion peut générer en termes de performance, avec des regards différenciés. Je le vois au quotidien, nous avons cette chance d’avoir une vraie diversité de profils et une égalité des chances, ce qui crée des interactions magiques avec des visions différentes, liées aux histoires personnelles des gens. Cela permet d’analyser les problématiques professionnelles à 360 degrés, contrairement à un groupe homogène qui pense de la même manière.

Magaly Siméon : Merci beaucoup pour cet échange, Jérôme.

Jérôme Friteau : Merci à vous, Magaly.

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