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Introduction
Magaly Siméon : Et si finalement la façon dont je vis ma charge mentale se positionne plus au niveau de l’émotion et de comment je la ressens qu’au niveau de la longueur de ma to-do list. C’est la question que pose aujourd’hui avec moi, Cecilia Cecilia, coach féministe.
Et je crois que les deux termes sont importants et je vous souhaite une très bonne écoute.
Bonjour Priscilla, bienvenue.
Priscilla Andrieux : Bonjour Magaly, merci beaucoup.
Magaly Siméon : Priscilla, est-ce que vous voudriez bien vous présenter pour nos auditrices et nos auditeurs ?
Priscilla Andrieux : Oui, bien sûr. Je suis Priscilla Andrieux et je me définis comme coach de carrière féministe. Alors ça veut dire que je suis une coach de carrière, donc je travaille sur les enjeux professionnels en abordant la personne entière, comme si elle avait aussi une vie personnelle. Je sais, parfois pour certains, ça paraît révolutionnaire comme concept, et féministe sous-entendu que je parle du point de vue des discriminations structurelles de notre société. Sous-entendu, les personnes que nous sommes n’existent pas complètement déconnectées de l’environnement dans lequel nous évoluons. Et donc c’est un coaching de carrière qui prend en compte ces discriminations-là dans le discours et dans la manière d’aborder les différents sujets.
Donc, moi, j’ai eu plusieurs vies professionnelles. J’ai eu plusieurs carrières en fait, mais je considère que ça participe du même mouvement parce que j’ai été journaliste, j’ai été lobbyiste. J’ai beaucoup enseigné de l’école élémentaire jusqu’aux écoles de commerce dans l’enseignement supérieur. J’ai été chef de cabinet de Jean-Louis Borloo à Énergie pour l’Afrique. Et après, j’ai été entrepreneuse et je suis toujours entrepreneuse aujourd’hui, consultante sur les diversités et l’inclusion et l’égalité femme-homme. Et j’ai rajouté il y a quelques années une corde à mon arc qui est celle du coaching.
Définition de la charge mentale
Magaly Siméon : D’accord, ma question suivante, qui est la question traditionnelle, c’est forcément des sujets que vous avez croisés et pour vous et pour des clientes, comment est-ce que vous définissez la charge mentale ?
Priscilla Andrieux : Mais déjà, à partir du moment où on parle de charge mentale, je pense qu’il est important de parler de socialisation des femmes parce que la charge mentale n’est pas quelque chose qui existe comme ça, comme un cheveu sur la soupe. Ça fait partie d’un mouvement de socialisation des femmes et des hommes qui, du coup, fait peser cette charge principalement sur les femmes et sur les minorités parce qu’elles sont femmes et que le rôle social qui leur a été assigné, c’est celui de s’occuper du foyer des enfants, de la vie émotionnelle, de l’entreprise et du foyer.
Donc, du coup, moi, la manière dont j’aborde la charge mentale quand je suis en coaching avec mes clientes, en fait, pour savoir s’il s’agit de charge mentale, on le sait assez rapidement, mais le diagnostic, je pars beaucoup des émotions. Et donc, à partir du moment où ma cliente me dit « je me sens débordée, je me sens submergée, je me sens bloquée, je me sens victime du temps qui n’est jamais assez, qui marche contre nous, je me sens esseulée, j’ai l’impression d’être en burn-out », à partir du moment où on commence à avoir ces sujets-là, je pense qu’on tombe dans le domaine de la charge mentale.
Et en tant que coach de carrière, je trouve que la charge mentale, bien sûr, elle existe au niveau personnel et on en parle beaucoup. Et il y a eu beaucoup d’efforts de sensibilisation sur tout ce qui est les tâches ménagères liées aux enfants et aux foyers, mais elle existe aussi au niveau professionnel, cette charge mentale. Donc, on peut l’appeler la charge émotionnelle, mais aussi la charge patriarcale sous-entendue, les femmes pour être au même niveau professionnel que les hommes, le mythe, c’est qu’elles doivent compenser et donc être plus formées, faire plus d’heures, travailler plus tard, sacrifier leur vie. Personnellement, moi, je trouve que c’est une forme de charge mentale professionnelle qui pèse particulièrement sur les femmes.
Egalité H/F : le rôle de la sociabilisation
Magaly Siméon : Alors pas mal de questions me viennent, mais je vais essayer de les donner dans l’ordre. Vous parlez de socialisation. Comment est-ce que vous pensez que la socialisation se joue en fait ? Comment ça se produit pour que finalement, à un moment donné, on évolue dans un rôle en tant que femme ou dans un rôle en tant qu’homme ? Ça se passe comment ? Vous, vous voyez ça ?
Priscilla Andrieux : Ça démarre à la naissance. Il y a plein d’études sociologiques qui sont réalisées dans ce sens. Alors, certes, on parle du rose et du bleu, mais ça, c’est une socialisation visuelle. Les parents s’adressent différemment aux tout-petits enfants, aux bébés. Quand on parle des pleurs des nourrissons, les pleurs des nourrissons filles sont souvent interprétés comme des caprices, alors que les pleurs des nourrissons garçons sont souvent interprétés comme « mais qu’est-ce qui se passe ? Est-ce qu’il a faim ? Est-ce qu’il a besoin de dormir ? »
Donc, en fait, la socialisation, elle est là dès ce moment-là. Donc, évidemment, c’est dans l’enfance, par la famille, et puis par l’école, évidemment. Derrière, c’est tout au long de la vie. La socialisation, c’est un processus qui ne s’arrête jamais. Vous et moi, nos grand-mères, si on a la chance de les avoir encore avec nous, sont des femmes qui sont encore socialisées. Sous-entendu à partir du moment où on est un être qui vit en société et j’espère que c’est le cas de tout le monde, à partir du moment où on est un être qui vit en société, on est une éponge.
On apprend de cette société. Et cette société nous dit : « Parce que tu rentres dans telle case » — c’est valable pour le genre, c’est valable pour la race, c’est valable pour l’orientation sexuelle — « parce que tu rentres dans telle case, tu dois te comporter de telle manière ». Tout à l’heure, vous avez dit « on demande aux femmes de sacrifier leur vie perso ».
Mais finalement, on attend ça des hommes aussi. À part quelques pubs à la télé, on voit un homme acheter des couches ou se demander si son enfant est bien là, mais globalement, on sort de génération en génération d’hommes qui ont eu avant tout une vie professionnelle et pas de vie personnelle. Ce sacrifice est demandé par l’entreprise aux deux genres, hommes et femmes.
Oui, tout à fait. Je suis tout à fait d’accord. C’est juste que le point de vue est un petit peu différent. C’est-à-dire que les hommes, c’est très personnel, ce que je dis, mais les hommes sont socialisés pour dire « vous êtes celui qui va ramener la nourriture à la maison, dont vous êtes celui qui existe dans la sphère professionnelle et à l’extérieur. Et votre rôle social, c’est d’aller chercher l’argent, d’aller chercher l’argent à la maison ». Et donc, du coup, tout ce qui relève de l’ordre des enfants, du foyer, de la vie sociale et des interactions sociales du coup, repose sur la femme. Donc ça, c’est un petit peu l’intention qu’il y a derrière. L’intention qu’il y a derrière pour les femmes, c’est : « Si vous voulez être au même niveau professionnel que les hommes, du coup, vous allez devoir vous comporter comme un homme ». Et effectivement, c’est exactement ce que vous dites : se comporter comme un homme. Ça veut dire ne pas avoir de vie personnelle ou sacrifier sa vie personnelle au bénéfice de sa vie professionnelle, comme si les deux ne pouvaient pas coexister. Je vois bien le biais qui a là-dedans, et vous venez de le dire, c’est-à-dire, c’est comme si les deux ne pouvaient pas coexister.
Magaly Siméon : Et en même temps, pour être un peu provocatrice, finalement, est-ce que c’est parce qu’on peut amener les femmes à se désengager, voire à se déresponsabiliser de cette sphère personnelle puisque finalement l’injonction de l’entreprise, c’est de dire « tu dois faire comme un homme », ce qui amène — et moi, je le vois dans ce podcast, dans les interviews — ce qui amène un certain nombre de femmes à revisiter les injonctions qu’elles ont sur la vie personnelle. Finalement, autant je considère que l’absence de conciliation entre la vie pro et la vie perso, c’est un vrai enjeu de santé mentale pour les individus hommes et femmes, autant ce que je constate, c’est finalement l’injonction de travail d’abord, quand on est en entreprise, peut amener des femmes à vraiment de challenger, à revisiter la socialisation sur l’intendance domestique. Vous ne pensez pas ?
Oui, bien sûr. Alors, quand vous dites « revisiter », c’est sous-entendu « mieux partager la charge mentale ». C’est ça. Alors, « mieux partager », on voit beaucoup de jeunes femmes qui annoncent leur souhait de ne pas avoir d’enfants.
Magaly Siméon : Et moi, je considère que c’est au pied du mur aujourd’hui. Et moi, je viens d’une génération où grosso modo, on se mariait.
Et l’étape d’après, on vous disait alors « quand est-ce que tu fais un bébé ? ». Moi, j’entends beaucoup de jeunes femmes aujourd’hui qui disent : « Moi, je fais un choix, c’est de ne pas avoir d’enfants ». C’est un choix qui existait moins pour les générations avant. Et donc peut-être que cette interrogation sur la conciliation ou pas conciliation peut donner un peu plus de liberté sur ses choix personnels.
Priscilla Andrieux : Oui, effectivement. Après, il y a un peu la question de quelle est la part de liberté et quelle est la part de la vision du succès qui est tellement fixée dans nos esprits qu’il y a une seule vision du succès. Je caricature, mais pas tant que ça. Il y a une seule vision du succès qui est se dévouer à sa vie professionnelle.
Et donc faire beaucoup d’heures, être là en présentiel, potentiellement, on espère créer beaucoup de valeur du coup. Voilà, se dévouer un peu à sa vie pro. Et ça, c’est une vision du succès qui est assez fixée que l’on a aujourd’hui. On voit que ça évolue, cette vision du succès, parce qu’il y a de plus en plus de gens qui parlent du sens et de l’impact. Il y a de plus en plus de gens qui parlent du bien-être au travail, qui parlent justement de la conciliation vie pro-vie perso.
Coaching des hommes et des femmes
En fait, on le voit par des débats autour, par exemple, du télétravail ou des facilités de transport, des choses comme ça. Je pense que la vision du succès évolue, mais bon, quand même assez à la marge. Mais elle évolue un petit peu.
Et après, effectivement, d’une certaine manière, et c’est tant mieux, il y a de plus en plus de femmes qui se libèrent des espèces d’injonctions sur leur rôle social en tant que femme. Parce qu’en tant que femme, votre rôle social premier, c’est de vous marier à un homme pour faire tourner un foyer et de procréer. Je caricature, mais est-ce que je caricature ? Je vois bien, vous accompagnez aujourd’hui des femmes uniquement, des femmes, ou vous avez coaché aussi des hommes ?
Alors je coache aussi des hommes parce que dans la manière dont je pratique le coaching, c’est le principe de coacher pour en fait s’assurer qu’on est toujours à un bon niveau de standard et de qualité. Et dans ce cadre-là, du coup, je coache des hommes. En revanche, dans le cadre de mon business, moi, je ne m’adresse qu’aux femmes. Et c’est vraiment un choix que j’ai fait, puisque moi, je fais du coaching de carrière féministe.
Donc j’ai décidé de m’adresser spécifiquement aux femmes qui ont des enjeux professionnels et qui ont envie de les adresser sous un angle féministe. Il existe plein de coaching et de coachs très performants qui coachent hommes et femmes indifféremment. Mais moi, je trouve que l’endroit sur lequel j’ai le plus d’impact, c’est le coaching de carrière féministe pour les femmes.
Magaly Siméon : Alors, c’est quoi comme caractéristique, un coaching de carrière féministe ? En quoi ça diffère ? Qu’est-ce que vous apportez de différent ? Qu’est-ce qu’il y a de différent dans l’interaction avec ces femmes que vous accompagnez ?
Priscilla Andrieux : Mais je pense que typiquement, le genre de sujets que l’on aborde maintenant, c’est-à-dire, le fait d’aborder des thèmes comme le syndrome de l’imposteur, le sentiment d’illégitimité, la charge mentale, le sentiment de ne pas être à sa place, ou de ne pas appartenir, tout ce qui est comportement de perfectionniste ou de bonnes élèves. Ça, c’est malheureusement des sujets féminins sous-entendus. Ce sont des sujets qui touchent beaucoup plus les femmes que les hommes. Et le fait de les aborder sous l’angle féministe, ça permet deux choses.
La première, c’est de normaliser la situation de chacune. Sous-entendu, non, ce n’est pas toi qui as un problème, c’est que tu es une femme et tu es socialisée dans une société qui socialise les femmes comme ça, et qui, par conséquent, a un certain nombre de conséquences, comme de ne pas se sentir à sa place, l’imposture, la légitimité, etc. Donc ça permet déjà de dédramatiser et par ailleurs, du coup, aussi de valider les émotions des femmes. Parce que normalement, on ne devrait pas avoir à valider les émotions de qui que ce soit. Mais on est quand même dans une société qui a beaucoup de mal avec les émotions, parce que montrer ses émotions, c’est être faible.
Donc le fait d’être dans un coaching féministe, ça permet de valider un certain nombre d’émotions pour dire : « Ok, c’est normal que je me sente comme ça. Et j’ai le droit de me sentir comme ça. Et je suis donc entendue dans mes enjeux, malheureusement spécifiquement féminins, par quelqu’une qui a une connaissance de ces enjeux-là ». Et après, on déroule les sujets de carrière comme on le ferait dans n’importe quel coaching, mais avec quand même cette connaissance-là que vous arrivez dans un contexte où vous interagissez pas comme ça, sorti d’une société, d’un cadre, etc.
Le syndrome de l’imposteur et le complexe de la bonne éléve
Magaly Siméon : Deux aspects que j’aimerais bien que vous précisiez un peu pour nous qui vous écoutons, moi y compris : comment se caractérise le syndrome de l’imposteur et c’est quoi le complexe de la bonne élève ?
Priscilla Andrieux : Alors, le syndrome de l’imposteur, mais ça marche au masculin aussi. Ça marche. Le syndrome de l’imposteur. Voilà, c’est juste que c’est un phénomène qui est beaucoup plus prégnant chez les femmes. Le syndrome de l’imposteur, c’est… On repart sur les émotions. C’est le sentiment de ne pas appartenir, le sentiment de ne pas être à la hauteur, le sentiment de ne pas faire ce qu’il faut, ou aussi bien que ce qu’on devrait le faire. C’est l’émotion que l’on ressent. Et en fait, on ressent ce type d’émotion-là, ça, ça arrive du cerveau. Et c’est beaucoup de doute qui est de l’ordre de « je ne suis pas vraiment à ma place ». Ce que je fais, c’est pas suffisamment bien.
Et ça vient de la manière dont on est socialisé en tant que femme, parce que le milieu professionnel n’est pas un milieu qui, traditionnellement, est un milieu dans lequel les femmes évoluent, et encore moins un milieu dans lequel elles sont valorisées. Et donc du coup, quand on arrive dans un milieu où historiquement, on nous dit « vous n’êtes pas tout à fait à votre place, il va falloir prouver un certain nombre de choses », quand on est dans une posture où on doit prouver des choses, eh bien, du coup, on agit comme quelqu’une qui doit prouver les choses.
Et donc nécessairement, ce n’est jamais assez bien, ce n’est jamais assez parfait, ce n’est jamais assez beau, ce n’est jamais assez excellent. Et donc, du coup, c’est très lié, effectivement, avec le perfectionnisme, qui est aussi le syndrome de la bonne élève, qui est que filles et garçons sont socialisés à l’école sur le principe des bonnes notes. « Tu travailles bien et tu travailles beaucoup, tu as de bonnes notes ».
Les filles, par rapport à comment elles sont socialisées dans notre société, fonctionnent beaucoup mieux dans ce système-là que les garçons, parce que les filles sont socialisées pour dire « il y a une consigne, tu réponds à la consigne, tu es récompensée parce que tu as répondu à la consigne ». Les garçons sont plus socialisés sur « vous êtes des esprits libres, soyez rebelles, tordez la règle ». Je caricature, mais ça aide à comprendre le phénomène. Et donc quand on sort de l’école, les filles fonctionnent toujours sur ce même fonctionnement-là, parce qu’elles restent des filles, sont devenues des femmes, mais ça reste des femmes. Sauf que ce système ne fonctionne plus dans le milieu de l’entreprise. Mais elles continuent à reproduire ce phénomène-là, parce que derrière la bonne élève, il y a, si tu veux être valorisée, il faut faire plaisir.
Et c’est en anglais, on dirait le « people pleasing ». Et donc c’est plaire au supérieur, à l’employeur, aux collègues. Et donc, du coup, pour plaire, il faut faire les choses parfaitement, avec le mythe que les femmes peuvent tout faire, peuvent tout gérer en même temps et doivent tout gérer en même temps. Et en plus, il faut que ce soit fait extrêmement bien. Or, le gros spoiler de l’histoire, c’est que les femmes sont humaines. Donc ce n’est pas possible.
Magaly Siméon : Oui. Et des fois, on le réalise au détour d’un craquage, d’une maladie. Donc c’est mieux de s’en rendre compte plus tôt.
Priscilla Andrieux : Effectivement, quand on pousse ce phénomène à vous, ça mène au burnout. Oui, tout à fait.
Comment soulager la charge mentale ?
Magaly Siméon : Ben, oui, bien sûr. Vous avez, je pense que c’est la première fois dans ce podcast, vous avez directement lié charge mentale et émotion, un peu comme si ce n’est pas tant la taille de la to-do list qui compte, mais c’est plutôt la façon dont je la ressens, la façon dont je la vis, en fait, c’est tout.
Donc, est-ce que c’est bien ça que vous vouliez dire ? Et comment ce sujet-là, pour le coup, vous le travaillez avec vos femmes clientes ?
Priscilla Andrieux : Oui. Alors, et c’est là que ça m’aide d’avoir un peu la double casquette d’activiste et de coach.
Puisque moi, j’ai oublié de le dire, en me présentant fondée sur le réseau professionnel Science, pas au féminin, qui rassemble les étudiantes et les diplômés des ensembles pour en fait, en pouvoir et les femmes dans des positions de leadership. Et ça, c’est l’action collective.
Et moi, je suis forte partisane de l’action collective qui va consister à dire, on va prendre conscience des sujets de société tels que la charge mentale et collectivement, on va œuvrer pour changer la donne. Et je pense que c’est super important.
Et donc ça, c’est une première jambe. Il me manquait la deuxième jambe qui était de dire non, mais c’est très bien. Mais au final, le soir, quand on s’est disputé avec son ou sa conjointe et que les enfants dorment et qu’il faut faire la vaisselle, en fait, on ne peut pas changer de la société. On ne changera pas la société avant d’avoir à faire la vaisselle. En fait. Donc du coup, on a besoin de cette deuxième jambe qui, pour moi, est la jambe du coaching qui est ok au quotidien. Peut-être que certes, j’agis de manière collective pour changer la société pour plus d’égalité, il n’empêche que ce soir, si je dois faire la vaisselle, comment je m’organise alors que j’ai très clairement en eu de l faire comment est-ce que je m’organise?
Et c’est là qu’interviennent les émotions, c’est comment moi, un moi Magaly ou moi Priscilla, comment est-ce que ce soir ou demain et après-demain et après après-demain, je fais pour vivre mes circonstances de la meilleure manière possible, sous-entendu vos circonstances, c’est votre vie telle qu’elle existe. Vous êtes en couple ou pas avec des enfants ou pas, en votre vie telle qu’elle existe. Comment est-ce que je fais en sachant que les discriminations structurelles existent? Comment est-ce que je fais pour éviter de rajouter de la douleur à la douleur et en fait arriver à vivre correctement mon quotidien.
Magaly Siméon : Je ne dis pas qu’il faut se mettre à aimer la vaisselle, quoique si très bien, vous voulez vous mettre à aimer la vaisselle et à aimer la charge mentale. Cool, allez-y si ça vous convient. Super. Mais l’objectif, c’est de dire, ok, comment est-ce que je fais pour faire en sorte que ma vie au quotidien soit la plus agréable possible? En fait, j’ai deux questions.
Priscilla Andrieux : On est d’accord que la réponse est individuelle et personnelle. Je pense que c’est les deux dans la manière dont on vit sa propre vie. Je pense que la réponse est tout à fait personnelle dans la manière dont on change collectivement la société. Je pense que la réponse est collective, d’accord, et que pour le coup, l’un ne va pas sans l’autre.
J’ai une deuxième question et qui sera ma dernière question est-ce que je vais la formuler de façon un peu provocatrice. Et je suis très intéressée par la réponse est-ce que ce travail de distanciation avec sa charge mentale n’est pas réservé à une certaine catégorie de femmes, est-ce que quand je suis maman solo, que je suis sur un job moyennement ou peu qualifié. Et donc avec des revenus un peu limités, je me débrouille toute seule avec ma vaisselle.
Et donc cette capacité de mettre une distance juste pour avoir une vie agréable mais pas accordée, en fait, je suis 100 pour son accord. Et c’est pour ça que moi, mon féminisme est intersectionnel, même si je suis une femme blanche et socialisée comme blanche. Et donc, du coup, il y a quand même certains enjeux que je comprends intellectuellement mais que je ne vis pas, il n’empêche que oui, bien sûr, on le dit comme on veut, mais un le coaching et tout ce qui est autour du coaching, le développement personnel, le fait de s’interroger sur la société, etc.
C’est quand même réservé à une certaine catégorie de personnes qui ont ne serait-ce que la petite bande passante et l’espace pour arriver à penser ce genre de sujet. Quand vous êtes levée à cinq heures du matin, parce que vous commencez à travailler à six heures, que vous rentrez, que vous avez une journée avec des horaires coupés que vous rentrez le soir, comme mieux, vous avez nourri vos enfants et fait les courses et etc. Vous n’avez aucune bande passante pour ce genre de sujet.
Et pourtant c’est justement vous qui en avez le plus besoin pour répondre à votre question. Oui, c’est quand même beaucoup des réflexions qui sont réservées à une certaine catégorie de femmes. Et je pense que c’est important de se le dire. Et donc après la question devient comment est-ce qu’on fait pour faire en sorte de créer de la place pour toutes les catégories de femmes?
Et c’est pour ça, je pense que la jambe collective dont je parlais tout à l’heure est absolument primordiale parce qu’en fait, tout le monde peut régler la charge mentale avec de l’argent. En fait, vous avez de l’argent. Oui, en tout cas, l’alléger largement. Oui, Vous avez de l’argent. On ne peut pas effectivement la régler entièrement, mais vous avez de l’argent. Vous payez une femme de ménage.
Vous payez quelqu’un pour vos enfants, vous payez quelqu’un pour faire le tampon d’ajustement entre votre vie pro et votre vie perso. Oui, c’est sûr. Mais après, ça pose aussi la question de qui est-ce que vous payez pour faire ce genre de travail. Généralement, ce sont ces mêmes femmes qui n’ont déjà dans leur vie à elles pas accès ni à l’indépendance financière, en tout cas, suffisamment d’autonomie financière, ni encore moins à la fameuse bande passante mentale qui leur permet de réfléchir à ces questions.
Là, c’est pour ça qu’au niveau individuel, c’est extrêmement important de travailler avec les individus qui aujourd’hui ont la chance d’avoir les moyens, le temps, l’espace disponible pour le faire, mais par ailleurs, le changement ne pourra être que collectif aussi. Sinon, on abandonne des.
Magaly Siméon : Bien, Priscilia, ce sera un mot de la fin. Je retiendrai de notre échange de façon très factuelle que la gestion de la charge mentale est marquée au sceau de l’injustice sociale aussi, comme beaucoup d’autres choses.
Priscilla Andrieux : Merci beaucoup, Magaly, pour ce temps et cet espace pour parler de charge mentale,
Magaly Siméon : Merci beaucoup d’avoir été avec nous aujourd’hui.