La semaine de quatre jours, comme vous n’en avez jamais entendu parler – Laurent de la Clergerie
Tout a commencé avec une simple phrase : « Je veux retrouver ma boite d’il y a 10 ans ».
Tout a commencé avec une simple phrase : « Je veux retrouver ma boite d’il y a 10 ans ».
Laurent de la Clergerie partage son parcours de transformation, des moments de peur aux surprises inattendues, en remettant au centre la valeur essentielle de son entreprise.
Découvrez les coulisses de cette transformation, marquée par un engagement authentique pour ses dirigeants. Chaque leader a bénéficié d’un accompagnement individuel sur deux ans, tandis qu’un coach interne a été instauré pour guider les cadres opérationnels. Certains ont quitté l’entreprise, mais cela a ouvert la voie à un nouveau modèle de leadership.
Plongez dans la mise en oeuvre de la semaine de 4 jours, inspiré par l’expérience de Microsoft au Japon. Laurent s’y est engagé avec ce seul objectif en tête : aider ses salariés.
Si comme Laurent, vous souhaitez partager votre histoire de charge mentale, vous pouvez nous écrire sur Facebook, Instagram ou à l’adresse email presse@lilyfacilitelavie.com.
« Stop à la charge mentale ! » est un podcast de Magaly Siméon, experte QVT, charge mentale et conciliation, produit par Lily facilite la vie.
💡 Comment soutenir efficacement les salariés face aux défis liés à la charge mentale ? Comment aborder de manière proactive, les questions de stress au travail au sein de votre organisation ? Comment maintenir un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, sans compromettre votre bien-être ? Ces questions cruciales trouvent leurs réponses dans chaque épisode de « Stop à la charge mentale ».
Rejoignez-nous chaque semaine pour révolutionner votre approche du stress au travail. Nous explorons les conséquences du stress sur les entreprises, équilibrons vie professionnelle et vie personnelle, et mettons en avant la Qualité de Vie et des Conditions de travail (QVCT).
Que vous soyez manager, dirigeant, professionnel RH ou salarié en quête de réponses, ce podcast est votre rendez-vous hebdomadaire pour des solutions pratiques et une inspiration revigorante.
Magaly Siméon : Bonjour, Laurent. Bonjour Laurent. Je suis ravie de vous recevoir aujourd’hui. Les auditeurs et les auditrices savent que je suis assez directe dans mon discours et vous faites partie des dirigeants que je suis attentivement et avec beaucoup d’intérêt et de plaisir sur LinkedIn, puisque globalement je suis d’accord à peu près avec tout ce que vous dites, et je ne dis pas ça tous les jours. Mais je vais vous laisser vous présenter vous-même : qui êtes-vous, Laurent, et pourquoi êtes-vous avec nous aujourd’hui ici, dans ce podcast qui s’appelle « Stop à la charge mentale »?
Laurent de la Clergerie : Alors, Laurent de la Clergerie. Je suis le fondateur du groupe LDLC que j’ai créé il y a maintenant à peu près 28 ans. J’ai 53 ans aujourd’hui. Le groupe, c’est à peu près 1000 collaborateurs, 600 millions d’euros environ de chiffre d’affaires. Et puis, c’est un groupe que j’ai construit autour d’une valeur, qui est la mienne en fait, c’est-à-dire le bien-être. Parce que le jour où j’ai créé ce groupe-là, en réalité, si on m’avait dit qu’un jour il y aurait 1000 collaborateurs, je n’aurais jamais osé le faire parce que j’ai toujours voulu faire un truc familial. Et puis finalement, on a grandi, on est devenu quelque part géants et j’ai toujours essayé de préserver ça. Parce que pour moi, l’histoire d’entrepreneur, ce n’est pas simplement l’histoire de créer une boîte et de faire quelque chose qui grandit. C’est aussi une histoire que je dois faire avec les gens qui m’accompagnent. Et c’était important pour moi d’avoir un groupe où je me sens au milieu des gens, même si quand on est chef, on est toujours un peu au-dessus, toujours dans une position un peu décalée.
Magaly Siméon : Je connaissais LDLC depuis quelques années, j’ai même été client chez vous, mais j’ai découvert récemment via le documentaire de Samuel Durand la mise en place de la semaine de quatre jours chez vous. J’ai été très marqué par ce documentaire, par la façon dont ça s’est fait et par le fait que ça a permis aux salariés, même parfois, d’identifier des gains de productivité. Et donc, globalement, le retour qui était fait, c’était une contribution supplémentaire au bien-être des salariés. Moi, ce que je vais vous poser, c’est une première question très large pour le mode « racontez-moi une histoire » parce que je trouve ça passionnant. Est-ce que vous pouvez nous raconter l’histoire de la semaine de quatre jours dans votre entreprise, comment ça a démarré et où vous en êtes maintenant?
Laurent de la Clergerie : Alors, ça vient de loin. Je vous ai dit que je voulais une histoire familiale quand je l’ai créée, ça a été vraiment dans ce mode et ça a été créé en 1996. Et pendant les 10 premières années, globalement, on a été là-dedans. Je suis passé de un à 300 collaborateurs à l’époque et de zéro à 150 millions d’euros de chiffre d’affaires. Un petit peu dans ce mode start-up, on ne se posait pas de questions et on était une bande de potes qui montaient leur boîte et qui avançaient sans se poser aucune question, un petit peu différente des start-up actuelles, c’est-à-dire qu’on gagnait de l’argent. On était en autofinancement, mais voilà, on s’amusait et on avançait et on créait la boîte. Je me suis rendu compte quelques années plus tard d’ailleurs qu’à cette époque-là, on avait zéro salle de réunion, pas de comité de direction et qu’en fait, on fonctionnait vraiment comme une bande d’amis. Il n’y avait pas de liens hiérarchiques. C’était ce qu’on appelle aujourd’hui un peu une entreprise libérée, mais sans jamais avoir cherché un modèle ou quelque chose comme ça, ça fonctionnait naturellement comme ça.
Et puis ce qui s’est passé à l’époque, c’est qu’en fait, on a déménagé. On a pris un nouvel entrepôt et ça s’est très, très mal passé. La personne qui était sur le projet, le responsable logistique dans lequel j’avais mis toute ma confiance, a mis toute son implication, mais il s’est planté. La boîte avec laquelle il est parti n’a pas su faire le projet correctement. Et fin 2005, la boîte a failli couler parce qu’on n’arrivait plus à livrer nos clients. On était dans une situation où plus rien ne marchait. On a malgré tout réussi à s’en sortir. Après la première année, on a perdu énormément d’argent. On a quand même réussi à relever la barre. Mais on est sortis de cette expérience en se disant « ouh là, ok, on est une boîte jeune, on s’est éclaté, mais maintenant il faut être sérieux. Il faut qu’on recrute des gens capés parce qu’on a besoin d’un peu d’expérience extérieure. » Donc on a recruté deux ou trois profils capés pour venir nous accompagner.
Évidemment, quand on a fait rentrer ces profils-là dans la boîte, la boîte s’est structurée. Et ce qu’on était a complètement disparu. Et on est devenus une boîte totalement standard, qui a fonctionné de façon standard et qui a continué à grandir de façon standard. Je ne vais pas dire que ça n’a pas marché. On était retombés après cette crise de 150 à 110 millions. Et puis on est remontés comme ça jusqu’à 300 millions. Donc la boîte a fonctionné parfaitement. On a même racheté un concurrent il y a une dizaine d’années, Materiel.net, qui nous a permis d’atteindre un chiffre de 500 millions. Et jusque-là, j’allais dire tout allait bien, sauf qu’en fait la boîte, elle était structurée politiquement, c’était plus moi. Et je m’en suis rendu compte parce qu’un jour, mon directeur commercial de l’époque m’a donné un livre, un livre d’Alexandre Gérard, qui s’appelle « Le patron qui ne voulait plus être chef » que j’ai lu pendant les vacances et qui parle d’entreprises libérées.
Et quand j’ai lu ce livre, j’ai relu l’histoire de ma boîte du début et ça m’a mis en projection le fait que je n’étais pas du tout dans la boîte que j’aimais, qu’en fait, je ne gérais pas ma boîte. Je gérais une boîte qui fonctionnait, mais je ne m’amusais pas dans la boîte. Et quand je suis revenu des vacances, j’ai provoqué un de mes derniers comités de direction pour leur dire « on va tout arrêter. On va revenir en arrière. Je veux retrouver la boîte d’il y a 10 ans. » Ah oui, surprise pour certains qui, en plus, avaient contribué à structurer et considéraient que leur job était menacé. Une vraie surprise, des peurs, beaucoup de peurs. On n’est pas une entreprise libérée aujourd’hui. Mais quand j’ai parlé du modèle, ils se sont dit « mais qu’est-ce qu’on fait dans ce modèle-là? » Puisqu’en gros, une entreprise libérée, il n’y a plus de direction. Donc nous, on n’a plus de place dans ton projet. J’ai dit « non, ce n’est pas tout à fait le but, c’est plus un changement de position du management. » C’est-à-dire que la volonté que j’avais derrière, c’est de dire « on va devenir accompagnants et plus contrôlants. On va écouter les équipes plus qu’on ne dirige et avancer ensemble. »
Je m’étais posé des questions, d’ailleurs même vis-à-vis de moi-même sur ce sujet, parce que je m’étais dit « il y a des décisions que tu as prises de façon unilatérale, est-ce que tu pourras toujours les prendre demain? » Parce que de temps en temps, il m’est arrivé quand on a décidé, par exemple, d’ouvrir un réseau de boutiques. Quand je suis arrivé à annoncer ça dans la boîte, tout le monde m’a dit « t’es complètement fou, il ne faut pas le faire. » Mais comme j’étais le patron, on l’a fait, et personne ne le regrette. Mais typiquement, sur ce genre de décision, je m’étais dit « est-ce que tu pourras toujours le faire? » Et en fait, c’est quelque chose que je me suis rendu compte dans le temps, c’est qu’à partir du moment où on a la confiance des équipes, en fait, ils vous suivent. Ils n’ont pas le sentiment que le projet est imposé. Ils vont voir parce qu’ils savent que vous saurez reculer si vous vous trompez. Et ça, c’est quelque chose de très important. Et parce que je l’ai déjà fait, et dans d’autres choses que j’ai faites, j’ai aussi admis que j’avais fait des erreurs.
Je vais prendre un cas très concret. À un moment où j’abordais le sujet avec les équipes du droit à l’erreur, je leur ai dit, et ça c’était devant tous les collaborateurs : « Comment je pourrais vous interdire de faire des erreurs? » Et j’avais pris un exemple très concret : on vient d’ouvrir l’Espagne il y a deux ans, je viens de la fermer. Ça a coûté 4 millions d’euros à l’entreprise. J’ai fait une erreur à 4 millions d’euros. Comment moi j’aurais le droit de vous interdire de faire des erreurs à 1000 ou 1005, 1010 zéro alors que c’est moi qui fais les plus grosses? Donc prenez des risques, allez-y. J’avais quand même complété en disant : si vous prenez des risques à 50, 100 ou 200, zéro, venez m’en parler, on prend le risque ensemble. C’est ce qu’on appelle mesurer le risque. C’est bien.
Voilà pour temporiser la chose, mais vraiment de dire : je n’ai pas le droit de vous interdire de faire des erreurs du moment que ce sont de vraies erreurs, parce que c’était de bonne volonté et on apprend en faisant des erreurs. Et donc, à cette époque-là, j’ai commencé à travailler sur cette notion de : on doit revenir en arrière. Ce qui n’est pas simple du tout. C’est très simple de structurer une entreprise, c’est beaucoup plus compliqué de la déstructurer. Et j’ai mis en place à ce moment-là des réunions avec les équipes. Justement, c’est là que j’ai eu ce genre de discours tous les ans pour faire le point avec eux, en leur disant : je peux me poser toutes les questions que vous voulez. Mais dans la première session que j’ai faite avec eux, je leur ai dit une chose très importante : on était à l’époque où on venait de racheter ce concurrent qui nous avait permis d’atteindre 500 millions de chiffre d’affaires. On est en bourse et on avait communiqué sur le fait que dans cinq ans, on ferait un milliard de chiffre d’affaires. Et je leur ai lancé le message qui était de dire : j’ai fait une énorme erreur.
J’ai annoncé en bourse qu’on ferait un milliard de chiffre d’affaires, alors qu’en vrai, ma priorité, ça va être le bien-être. Donc on ne communiquera plus jamais sur le chiffre qu’on ambitionne, mais on communiquera dorénavant uniquement sur le fait qu’on travaille sur votre bien-être. Et parce que vous vous sentirez bien, je suis sûr qu’on arrivera à ce chiffre un jour. Et donc c’était le paradigme de changement de la boîte. C’est-à-dire qu’à compter d’aujourd’hui, nous allons travailler sur le bien-être des équipes, c’est malin, sans être non plus dans la destruction.
Magaly Siméon : En fait, vous avez remis au centre du village LDLC ce qui pour vous était la valeur essentielle.
Laurent de la Clergerie : Exactement. Et à partir de là, on a travaillé en différentes étapes. Ce n’est pas tout de suite que j’ai dit aux équipes tout ce que j’avais en tête. J’ai commencé par accompagner les dirigeants pour les aider à changer de posture. Ils avaient chacun un coach pour les suivre. J’en avais un aussi pour éviter que l’on dise que vous seul aviez besoin d’être coaché. On a travaillé deux ans comme ça. Dans ce temps-là, nous avons également formé des coachs internes pour pouvoir accompagner les cadres opérationnels qui seraient impliqués dans la suite du projet. Et puis on a travaillé, disons, un peu en sous-marin pendant deux ans.
Au bout de deux ans, lors de ces fameuses réunions, je suis revenu vers les équipes pour leur expliquer le projet et leur dire : à compter d’aujourd’hui, je ne veux plus de managers dirigeants, je veux des managers accompagnants. C’était un peu un piège, je vais être honnête, vis-à-vis des managers, parce qu’à partir du moment où moi j’ai communiqué avec les équipes en disant « je ne veux plus de managers contrôlants », elles ont vocation à dire à leur manager « tu n’es pas dans la bonne position ».
Magaly Siméon : Ah oui, bien sûr. Et ça n’a pas dû faciliter le travail des managers. Et il y a eu des départs.
Laurent de la Clergerie : Oui, il y a eu des départs parce qu’il y a des managers qui n’ont pas voulu changer de posture et qui n’ont pas aimé ce retour des équipes. Il y a des managers qui ont été dans la difficulté, mais pour le coup, on avait nos coachs pour les accompagner. Ils sont toujours là aujourd’hui, mais ça, voilà, ça a été une période qui a pu être difficile pour deux ou trois managers à l’époque, mais on a réussi à avancer comme ça. Ça ne veut pas dire que tout est parfait aujourd’hui, soyons francs, mais en tout cas, ça a beaucoup changé dans ce sens-là.
Alors, la semaine des quatre jours. Et donc, dans toute cette démarche, il y a eu pas mal de choses qui ont été faites. On a intégré toutes les primes parce que, justement pour moi, il y avait ces notions de notes un peu injustes, de temps en temps, si je n’ai pas envie de te donner la prime, je trouve 25 raisons. On a travaillé sur les réunions. Un jour, je suis arrivé un matin, typiquement, c’est pour ça qu’on n’est pas une entreprise libérée en note très stricte. Je faisais mes salles de réunion pour trois mois, ce que j’ai vraiment fait, parce qu’il y avait trop de réunions. On en est ressorti avec beaucoup moins de réunions.
On a augmenté le salaire de base, on est passé à un salaire minimum dans le groupe qui était plus 15. J’ai beaucoup insisté sur la transversalité de la confiance. C’est à dire que c’est très bien d’avoir une confiance verticale, mais il faut aussi qu’elle soit horizontale entre les équipes. On a beaucoup travaillé sur tout ça. Et donc, j’ai avancé sur tout ce que je pouvais mettre comme mesure de bien-être diverse et variée.
Et puis, un jour, je suis tombé sur un article de Microsoft dans un journal qui parlait de Microsoft qui avait mis en place durant le mois d’août 2019, la semaine de quatre jours au Japon et qui en était ressorti en disant « on a eu 40 % de productivité en plus, plein d’économies diverses et variées d’électricité, d’impression de papier, etc. » Enfin, de diverses choses. Mais j’ai relu l’article il n’y a pas longtemps qui finit par « mais on ne continuera pas. Et surtout, si on refait l’année prochaine, les salariés vont poser leurs jours ».
Je me suis dit, wow, qu’est-ce qui est motivé en vrai? Qu’est-ce qui m’a motivé dedans, c’est qu’en fait, je n’avais jamais pensé à la semaine de quatre jours. Ça a été ça, ça a été le déclic. Mais si on travaille quatre jours, ce serait vraiment génial pour les gens. Je me suis tout de suite projeté sur le fait. Je leur changerai la vie. Par contre, est-ce que c’est possible côté entreprise?
Et là, j’ai eu une réflexion comme je vais avoir sur tout projet, c’est de me dire « bon, imagine demain, on passe aux quatre jours. C’est quoi les conséquences? » Et donc, la première conséquence que j’ai mesurée, c’était de dire, ok, on passe à quatre jours, 35 h. Ça fait 8 h 45 par jour. On a une moyenne d’âge qui est toujours relativement jeune, 37 ans. Donc il y a plein d’enfants et j’ai essayé de faire le planning sur 8 h 45. Soit ils prennent un sandwich entre midi et deux, soit c’est pas possible.
Du coup, je me suis dit : « donc si tu devais mettre ça en place dans la boîte et que tu veux que tout le monde y aille, ce sera 8 h maximum, ce qu’il faut c’est qu’il y ait une heure entre 12 h et deux ». Et donc, c’est 32 h. Et donc, à partir du moment où on commence à réfléchir à 32 h, la question qui vient après, c’est : qu’est-ce que je fais des salaires? Mais comme je suis en mode de simulation et que je veux vraiment que tout le monde y passe, les salaires, ce n’est pas un sujet en vrai, ça doit être maintenu parce que sinon ça ne passera pas.
Et donc, la dernière question que je me suis posée de façon très concrète, c’est : combien ça coûte?
Et à partir de ce moment-là, j’ai évalué les différents métiers de l’entreprise. Et là, dans les métiers, il y a des métiers que j’appelle incompressibles en temps. C’est tout ce qui va être relation client ou horaire d’ouverture d’une boutique, parce qu’en fait, on n’est pas sur un temps de travail, mais sur un temps d’ouverture. Et donc, quelque part, les heures, on doit les faire. Il n’y a pas une quantité de travail en face. Il y a de l’ouverture.
Ensuite, s’il y avait les métiers du type logistique où c’est un travail pénible. Et où je m’étais dit là, améliorer une productivité logistique sur des gens qui ont un travail qui est pénible, il ne faut pas trop y compter. Donc, tous ces métiers-là, j’avais considéré qu’il faudrait que j’investisse le salaire des heures qui allaient manquer et que je recrute pour compenser. C’est ce que j’avais dit.
Ensuite, il y avait les métiers de bureau. Alors là, ma première réflexion immédiate, ça a été le vendredi après 12 h, il faut rien. En gros, je m’étais dit sur le vendredi, il y a une heure sur deux qui n’est pas travaillée. Donc, tu as déjà récupéré une partie des heures. Et puis, dans les bureaux, en fait, il y a toujours des moments où clairement, on va préparer le voyage qu’on a pour les vacances, on va faire des courses de Noël, on va faire différentes choses parce qu’on a le temps, parce qu’à des moments, on va couper parce qu’on a besoin de couper.
Et je le disais sans culpabilité vis-à-vis des autres, puisque moi-même, je vais le faire. Donc, c’est quelque chose dont on est totalement conscient. Et du coup, je me disais en réalité, dans les bureaux, il y a deux tiers du temps qui doivent être récupérables de façon naturelle et un tiers qu’il va falloir financer d’une façon ou d’une autre parce que tu ne peux pas tout prévoir. Et à la fin, en côte mal taillée, je m’étais dit : la mesure coûte cinq de la masse salariée. Donc, la question était juste : suis-je prêt à payer cinq de la masse salariale et, globalement, ça représentait 15% de notre habit d’art.
Et j’ai dit bon, je fais, je veux voir de la beauté de ne pas avoir de fonds d’investissement dans son capital. On est en bourse dévalorisé la boîte de 15%, clairement, mais effaçant unilatéralement ce qui revient à la discussion tout à l’heure : est-ce que je pouvais prendre encore des décisions de façon unilatérale? Vous venez de prendre une décision, unilatérale, sans comité stratégique.
Alors, mon frère est directeur financier dans la boîte. Je suis quand même allé le voir pour lui en parler. Et il a validé, parce qu’il est quand même dans la même optique, il a dit « ok, on y va ». Et puis, on verra bien.
Et donc, cette mesure, en décembre 2019, on avait nos négociations annuelles qui avaient lieu en mars 2020. Et on s’était dit : on l’annoncera à ce moment-là et on dira à personne entre temps. Mais, en mars 2020, Covid oblige, on n’a pas pu l’annoncer. Les négociations étaient finalement en juin 2020. Donc, on a fait des négociations totalement normales. On a conclu les négociations et les augmentations de l’année à venir, etc.
Et à la fin de la réunion, j’ai demandé aux syndicats et à toutes les personnes dans la pièce, s’il y avait des questions, tout le monde l’a dit non, c’est bon, c’est fini. On était sur un accord, tout allait bien.
Moi, j’ai une dernière question à vous poser, d’accord? Est-ce que vous seriez d’accord pour signer un accord, quatre jours, 32 h. Alors autant dire que en plus, on parle d’une époque où c’était un non-sujet. Aujourd’hui, c’est devenu un sujet, mais à l’époque, personne n’en parlait. Les syndicats sont restés bougés, même s’ils ont réagi très vite sur deux questions qui étaient la première, les salaires, bien sûr, à quoi j’aurais répondu : évidemment, ne vous inquiétez pas, j’ai pensé à ça et ce sera maintenu. Et la deuxième qui était combien de temps va tester? Et je leur avais répondu : ce n’est pas un test. Ah oui, c’est définitif. Et bon, d’un seul coup, en fait, dans mon calcul, de toute façon, j’avais calculé le risque maximum. Donc, à partir de ce moment-là, je m’étais dit : je l’accepte, je vais puis je verrai et qu’autant plus on est un groupe de 1000 et qu’on se dit on va basculer les gens dans ce mode là, quelque part, on ne peut pas dire je vais faire marche arrière parce qu’on sait que ça va plaire et que ce sera très, très dur de l’enlever un petit peu. Le sujet du télétravail en ce moment clairement, beaucoup se disent je suis allé trop loin. Il faut que je revienne à et pour en parler là-dessus, parce qu’on avait déjà mis en place nous aussi avant et on a un peu reculé là-dessus. Et donc, à partir de ce jour-là, on s’est donné six mois pour le mettre en place. Et là, à partir de ce jour-là, j’ai disparu quelque part, puisqu’en fait c’est les équipes qui ont travaillé sur le projet. Le seul cadre que j’avais posé, c’est on ne va pas fermer un jour dans la semaine. Si on ne peut pas, la structure ne peut pas fermer le vendredi. La seule chose que je vous demande, c’est que de l’extérieur, ce soit invisible. Le client ne doit pas être affecté par le fait qu’on travaille sur des plannings de quatre jours par semaine à partir du moment où vous respectez ça pour moi, ça me va. Et donc les équipes RH, syndicats, juridiques, ont travaillé pendant six mois sur le projet pendant qu’en même temps, chaque équipe travaillait sur ses propres plannings en accord avec ses équipes pour arriver à faire tenir les plannings sur les quatre jours.
Laurent de la Clergerie : Je vais être franc, au moment où ça a été annoncé, les managers ont eu très, très peur. Pour beaucoup, c’était impossible, pas sur la notion. On n’était pas convaincu que les gens vont pas faire le travail, mais sur la notion comment on peut travailler sur quatre jours sur des semaines de cinq, comment les gens vont travailler le jour où moins je serais absent ou une crainte qui date de l’époque des 35 h où ça a été un sentiment très fort de oui. Mais en fait, c’est moi qui vais faire le travail qui n’auront pas le temps de faire. Mais je comprends, les 35 h mal appliquées ont généré parfois beaucoup de surcharge et pas de recrutement et pas de réflexion sur l’organisation du travail et donc plus de stress. Donc voilà, il y avait beaucoup de stress et c’est là que je les avais rassurés tout de suite en disant mais moi, j’ai prévu que vous recrutiez, c’est-à-dire que dans mon plan, il est prévu des embauches. Donc ne vous inquiétez pas. Si vous rendez compte que ça passe pas, vous recrutez, il n’y a pas de problème. Et donc toutes ces équipes ont travaillé pendant six mois. Tous se sont rendus compte de façon assez, parfois surprenante, qu’ils arrivaient à faire des plannings et autres. Et il y arrivait tellement que quand on a mis le projet en place en janvier, aucune équipe n’avait fait le choix de recruter. Ils avaient tous pris le pari de dire et ça, ça n’avait pas été une demande. J’insiste, on n’a jamais eu cette demande forcée de dire vous recrutez plus tard. Au contraire, ils ont tous pris le pari de dire on recrutera en fonction des besoins qu’on va voir après. Et du coup, en janvier 2021, on a mis la mesure en place. Et je me rappelle très bien de trois semaines après, à peu près, où j’étais dans mon bureau et où je me disais, wow, je ne vois pas la différence. Je ne me rends pas compte qu’on travaille quelque jours en moins. Au bout de trois semaines. Exactement, vraiment pas de quoi, je sais qu’individuellement, il y a des gens qui, dans les premières semaines, ont eu du mal à trouver leur rythme, etc. Il a fallu trois mois pour que tout le monde se calme, mais en tout cas, il n’y avait pas ça. Par contre, il y a une chose et qui aura été finalement un facteur hyper important. Ce qui est vrai, une différence en vrai, c’est qu’une fois sur cinq, quand j’envoyais un mail en interne, je recevais, je suis off aujourd’hui. Oui. Et donc je devais attendre 24 heures la réponse et finalement je me suis rendu compte que ce mail était hyper important parce qu’il a appris à tout le monde dans le groupe qu’on peut attendre 24 heures une réponse. C’est vrai. On a cassé la notion d’urgence et de stress à l’urgence en semaine parce que le week-end, on a à peu près l’habitude, mais au début de la semaine, recevoir un mail est je dois attendre 24 heures ma réponse, voire 48 heures, si le jour off suit la personne d’autre personne et les gens se sont rendu compte que finalement on pouvait attendre 24 heures une réponse, c’est que ce n’était pas stressant. Et ça, je pense que c’est un des facteurs qui a le plus détressé la boîte. Oui, je suis d’accord. C’est pression à l’urgence est un vrai facteur de mal être, voire même de, c’est un mot qu’on utilise beaucoup, mais je trouve qu’il y a du sens, de choses toxiques. C’est à dire de pression qu’on se met à soi-même.
Magaly Siméon : C’est à dire de pression qu’on se met à soi-même parce que quand un mail arrive, on imagine qu’on doit répondre tout de suite. Et donc, et je suppose que vous avez ce mail, là aussi, qui vient de votre boîte mail, vous êtes à quatre jours aussi, Laurent.
Laurent de la Clergerie : Alors je suis à quatre jours, mon jour fait le mardi. Je vais être franc, pour moi, c’est un petit peu plus compliqué à gérer pour une raison toute bête. Et je me suis fait dépasser par le sujet des quatre jours que je n’avais pas prévu de communiquer dessus.
Oui, je vois bien qu’aujourd’hui c’est un sujet qui, dans le planning, de me prendre à peu près de deux jours par semaine.
Magaly Siméon : Ah oui, ça m’étonne pas.
Laurent de la Clergerie : J’en ai même fait un livre, poser la semaine de quatre jours pour essayer de temps en temps, d’ailleurs, de répondre. Lis le livre.
Magaly Siméon : Mais oui, oui, je comprends.Parce que ce que vous démontrez, c’est qu’on peut contribuer au bien-être que ça ne coûte pas plus cher parce que si ça n pas, alors C’est exactement ça.
Laurent de la Clergerie : La vraie surprise, c’est qu’au final, on a recruté absolument personne. C’est-à-dire qu’on était 1000 avant la mise en place et on était 1000 après, mais surtout qu’on était en période de vide.
C’est à dire que pendant ce temps là, nous liés à la période que j’insiste, ce n’est pas les quatre jours qui ont provoqué ça. On a fait 40 % de croissance et c’est 40 % de croissance. On les a digérés sans recruter personne en travaillant quatre jours, 32 h.
Et donc, que quelque part finalement là où moi, j’avais prévu cinq % de masse salariale en plus. En réalité, j’ai économisé 15 à 20 % de ma masse salariale.
Magaly Siméon : Un. C’est génial.
Laurent de la Clergerie : Et le dernier point très important là-dessus, c’est que quand j’ai vu les équipes un an après qui avaient eu une année super chargée, en réalité, puisqu’on n’avait cette hyper croissance, ils étaient reposés en pleine forme.
Je les avais jamais vus comme ça. Hyper heureux. Ils m’ont quand même posé la question, c’est quoi ta prochaine idée? Mais je comprends cette recherche toujours plus.
Et ce à quoi à l’époque, je leur avais répondu justement, on va rien faire à d’autres et on va rien faire d’autre pour une raison, toute simple, c’est que quand je vous vois, quand je vois le bonheur que a généré cette mesure aujourd’hui, on doit expliquer aux autres que ce que vous vivez, c’est génial que ça a été génial pour l’entreprise.
Et si j’en fais trop plus personne va nous croire, on va juste être un ovni.
Et donc il faut qu’on se mette à un niveau où on ne peut pas aller plus loin tant qu’il y en a pas d’autres qui nous suivent et qui expliquent à leur tour ce que ça marche.
Parce que c’est tellement contre-intuitif ce qu’on vit que quelque part, il faut qu’on arrive à faire comprendre aux autres que ça marche. Et c’est ça le plus dur aujourd’hui.
D’ailleurs, c’est ce que je me suis rendu compte, c’est que finalement la phrase n’avait pas que c’était impossible.
Alors il l’a fait, on est en plein dedans, mais que ce n’est pas parce qu’on l’a fait qu’ensuite, c’est facile à expliquer aux autres.
Magaly Siméon : Oui. Et ça sera le mot de la fin. Et ça heurte tellement de croyances très, très ancrées dans le monde de l’entreprise en France aujourd’hui, sur l’urgence, sur la nécessité de contrôle, sur la nécessité de voir les gens beaucoup de croyance.
Donc, mais alors surtout, n’arrêtez pas, non,
Laurent de la Clergerie : Non, non, non.
De ces gens qui militent pour le bien-être en entreprise dont n’arrêtez pas surtout de nous donner du temps pour nous raconter comment ça se passe, parce que ça va finir par convaincre plus de gens.
Et puis ça va aussi très certainement encourager des salariales demandées.
Et pour le coup en plus, c’est un sujet. On s’en rend compte de plus en plus qui est devenu mondial.
Et il y a même d’autres pays qui, je dirais, sont presque en avance sur nous, en tout cas sur cette volonté d’avancer dans ce sens là.
Oui. Et pour moi, c’est un sujet de toute façon qui sera mondial pour plein de raisons, ne serait-ce qu’avec li et plein de choses qui arrivent et le rééquilibre que ça crée, parce qu’une des convictions que j’ai derrière, parce que j’ai essayé de comprendre pourquoi ça marchait, c’est qu’en fait, je pense qu’on n’a pas réussi à admettre dans cette saturation du travail qu’on est débordé aujourd’hui par la quantité d’informations qu’on a en face de nous et qu’on a besoin de repos pour la digérer, la toi.
Et que ce jour, en réalité, crée cet équilibre qui nous permet de nous reposer et qui fait que finalement, quand on revient travailler, parce que ce que je n’ai pas dit, c’est que mon logicien est fait 10 ou 20 % coll en plus que les boutiques qui sont réussies à s’organiser entre eux pour mieux travailler finalement et qu’on recrute pas sauf quand il y avait que deux personnes.
En fait, ce repos concret crée un repos dans le cerveau, un peu comme un sportif ou autre qui fait qu’en fait, quand on revient, on travaille vraiment mieux, mais simplement parce qu’on se sent mieux, pas pour l’entreprise, pas pour faire un effort parce que on a retrouvé le repos dont on a besoin.
Et d’ailleurs, pour revenir sur un juste, un dernier point, c’est on pose parfois la question de mais ils travaillent jamais le jour off.
C’est chacun fait comme il veut.
Mais quand il y en a deux ou trois qui répondent à un mail, ils n’ont jamais le sentiment d’être dans le travail des bords selon mon jour de repos qui vont choisir le mail sur lequel ils vont prendre.
Mais ils n’ont pas ce sentiment du droit à la, il y a zéro obligation.
Et puis ils ont tellement de temps que ces quelques minutes qu’ils consacrent, à aucun moment, ils se disent « ça déborde quand même sur mon temps, non? »
Parce qu’en fait, j’en ai tellement. C’est plus grave.
Magaly Siméon : Eh bien, merci beaucoup, Laurent.
Et j’espère que ça convaincra des dirigeants et des dirigeantes que ce n’est pas juste possible. En fait, c’est une très bonne idée. Merci pour votre temps.
Laurent de la Clergerie : Merci.
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