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Introduction
Magaly Siméon : Aujourd’hui, je reçois Jean-Baptiste Baron, qui est expert en gestion du temps. Quand on gère son temps, on contrôle mieux sa vie. Jean-Baptiste va nous rappeler qu’il faut se connaître soi-même pour être au clair sur les objectifs qu’on se fixe et les objectifs qu’on se fixe structurent aussi la vie qu’on mène. C’est donc pas négligeable en termes de gestion du stress.
Et puis, pour les dirigeants, managers, DRH, qui ont envie de savoir comment on peut détecter objectivement des signes de montée de stress, cet épisode est fait pour vous. Je vous souhaite une bonne écoute. Bonjour Jean-Baptiste.
Jean-Baptiste Baron : Bonjour. Vous allez bien ?
Magaly Siméon : Très bien, merci. Alors Jean-Baptiste, est-ce que vous voulez bien vous présenter pour nos auditrices et nos auditeurs ?
Jean-Baptiste Baron : Oui, bien sûr. Alors je suis Jean-Baptiste Baron. Depuis fin 2019, je suis consultant en organisation et en gestion du temps. Je m’adresse principalement aux dirigeants d’entreprise qui sont submergés par leurs responsabilités et leur quotidien, et qui veulent tout simplement reprendre le contrôle de leur temps et, dans un certain sens, le contrôle de leur vie aussi.
La perception du temps de travail
Magaly Siméon : Quand vous dites contrôle de leur temps et contrôle de leur vie, vous associez les deux ?
Jean-Baptiste Baron : J’associe les deux. Parce que dans la manière dont on réfléchit la gestion du temps, on va se dire : « ou je fais une profonde séparation entre ma vie pro et ma vie perso », sauf que dans une certaine mesure, c’est la première erreur à ne surtout pas faire.
Magaly Siméon : Vouloir séparer.
Jean-Baptiste Baron : Voilà.
Magaly Siméon : Et alors, qu’est-ce qu’il faut faire ? Moi, qui suis une mère de famille de trois enfants, qui a passé ma carrière à être hyper rigoureuse sur le temps de travailler, le temps à la maison, je cours entre les deux. Je suis comme le hamster dans la roue, mais je tiens à la séparation. J’aurais dû faire comment, en fait ?
Jean-Baptiste Baron : Je ne vais pas poser la question de cette manière-là.
Magaly Siméon : Je vous en prie.
Jean-Baptiste Baron : je voulais garder ces mots-là pour la fin, mais on peut les aborder dès maintenant. La réponse est dans les objectifs que vous avez déterminés. C’est-à-dire que si votre objectif profond, c’est de dire : « je veux être aussi impliqué dans ma vie professionnelle que dans ma vie personnelle », vous allez déterminer quels seront les moyens qui vous permettront d’être autant impliquée dans votre vie professionnelle que dans votre vie personnelle.
Et le truc, c’est que si vos objectifs ne sont pas correctement déterminés au départ ou si les moyens que vous mettez en œuvre pour poursuivre ces objectifs ne sont pas bons, parce que tous les moyens qu’on met en œuvre ne sont pas nécessairement bons et n’apportent pas nécessairement les résultats qu’on veut, c’est là où vous allez vous prendre les pieds dans le tapis et vous allez perdre le contrôle de votre temps.
Donc moi, mon travail, c’est d’abord non pas de porter un jugement moral ou un jugement de qualification sur les objectifs que poursuivent mes clients, mais d’abord et avant tout d’interroger les moyens qu’ils mettent en œuvre par rapport à ces objectifs-là.
Et si les moyens que vous avez mis en œuvre dans votre carrière vous ont permis d’aller chercher les résultats que vous vouliez, ça veut dire que les moyens que vous avez mis en œuvre sont les bons et vous avez pu obtenir les objectifs et les atteindre comme vous le vouliez.
Magaly Siméon : On reviendra sur la fixation d’objectifs parce que je partage votre point de vue sur objectif et moyens, mais on y reviendra à la fin du podcast, comme ça, on garde tout le monde jusqu’à la fin, c’est ça. On va commencer plus large. On a quand même un petit peu le sentiment, en tout cas, les réseaux sociaux et les médias pointent beaucoup une espèce de malaise au travail aujourd’hui et un rapport au travail qui serait générateur de stress. Qu’est-ce que vous en pensez ? Qu’est-ce que vous constatez, vous ?
Jean-Baptiste Baron : Peut-être qu’avant de parler de stress en entreprise, on peut donner une définition vraiment très rapide de ce que c’est que le stress.
Magaly Siméon : Bien sûr.
Jean-Baptiste Baron : Moi, je dis que le stress, c’est une réponse émotionnelle et psychique face à une situation qui est inattendue, devant laquelle on va se sentir, selon divers degrés, plus ou moins démunis. En entreprise, le fait de se sentir démuni, ça va avoir davantage à faire avec le nombre de responsabilités auxquelles on doit répondre. C’est logique, dit comme ça, mais c’est important de le préciser au nombre de sollicitations qu’on doit gérer. Et plus les collaborateurs d’une entreprise sont soumis à ce genre de pression et à ce stress, moins ils vont être efficaces dans l’accomplissement de leurs différentes missions. C’est là qu’il y a un vrai problème.
Magaly Siméon : Si je reformule pour m’approprier, le stress va naître d’un déséquilibre entre l’ampleur de ce qui m’est demandé, que ce soit en nombre ou en intensité, et ma capacité à gérer cela.
Jean-Baptiste Baron : Exactement.
Qu’est-ce que le bon et le mauvais stress ?
Magaly Siméon : Alors moi, quand vous dites répondre, j’entends répondre une fois. Un des grands enjeux qu’on a en entreprise aujourd’hui, c’est le stress qui dure.
Jean-Baptiste Baron : On peut rester sur cet exemple-là : imaginons que vous êtes chef d’une entreprise de livraison au dernier kilomètre. Vous avez l’habitude de gérer des petits colis à vélo, et vos gars ou filles font ça très bien toute la journée. Et demain, on vous dit : « Coucou, bonjour, on vous donne la valise diplomatique avec une bombe nucléaire à l’intérieur. »
Le niveau de stress ne va pas du tout être le même parce que vous avez une réponse de qualité de service qui n’est pas du tout celle à laquelle vous êtes habitué. Je prends un exemple volontairement extrême pour vous donner le truc. On peut aussi exacerber le même exemple en se disant : « D’habitude, je livre 100 colis dans une journée. Demain, on me demande d’en livrer 1 000. Il n’y a pas de réponse physique possible par rapport à ça. » Donc c’est de là que vient le stress. Et si en plus, non seulement on vous demande 1 000 aujourd’hui, mais qu’on vous demande 1 000 pendant trois mois, alors que vous n’avez pas la capacité opérationnelle de le faire, effectivement, le niveau de stress va suivre dans le temps. Tant qu’il n’y a pas de réponse donnée, le stress va perdurer.
Je peux détailler si c’est nécessaire.
Je vais déjà revenir parce qu’on parle aussi de bon stress et de mauvais stress. Si je prends mon cas perso, l’idée de livrer une valise diplomatique avec une bombe nucléaire, une fois, un jour, je peux trouver que c’est un challenge.
Alors bien sûr, c’est un exemple extrême, mais je peux me dire : « Oh, chouette, on va y arriver. » Très simple, mais parce que c’est un jour, le soir, c’est fini. Je peux faire redescendre mon stress. Ma perception, c’est que de temps en temps, le challenge génère une excitation, il génère de la production d’hormones d’excitation, etc.
Magaly Siméon : Le truc, c’est quand ça dure. Est-ce qu’on est d’accord que notre problème aujourd’hui, c’est que ça dure trop ?
Jean-Baptiste Baron : Oui, mais ça revient à la réponse que je vous ai apportée. Il n’y a pas de notion de bon stress ou de mauvais stress. Ce qu’on appelle le bon stress, c’est effectivement une excitation, mais à laquelle on se dit : « C’est bon, j’ai la réponse. C’est hyper excitant, c’est un petit peu angoissant, mais j’ai la réponse et je sais où je vais, je vais y arriver. »
Magaly Siméon : Moi, je comprends.
Jean-Baptiste Baron : Alors que je n’ai pas la réponse, je ne sais pas où je vais et je ne le fais pas, j’en prends plein la figure, je suis en état de stress.
Magaly Siméon : Je comprends quelque part, c’est lié à ma perception de ma capacité à franchir l’obstacle, ce qui fait que cette notion de stress dans un même environnement peut être très subjective d’une personne à une autre.
Jean-Baptiste Baron : Exactement.
Magaly Siméon : Alors si on revient à cette notion d’objectif, qui est une notion que je trouve très importante, parce que je pense qu’effectivement une des façons d’être équilibré dans sa tête, c’est d’être très clair sur les objectifs. Qu’est-ce qui fait que finalement, on peut courir en ayant des objectifs qui ne sont pas les bons et qui vont générer du stress ? Qu’est-ce qui se passe quand ça se joue ?
Jean-Baptiste Baron : Un mauvais objectif, c’est l’objectif de quelqu’un d’autre.
Magaly Siméon : Ok.
Jean-Baptiste Baron : Je ne peux pas synthétiser plus que ça.
Magaly Siméon : Non, mais c’est hyper important parce que justement dans une entreprise, on va se refiler de temps en temps des patates chaudes et se dire : « Bon, ok, je vais le faire parce que c’est peut-être une manière pour moi de gagner du galon et de bien me faire voir », alors qu’en fait, pas du tout. Et donc je vais accepter de suivre un objectif qui n’est pas complètement le mien.
Mon objectif à moi, c’est de bien me faire voir et de prendre du galon. Mais donc, je vais accepter de suivre un objectif qui est de faire une mission qui n’est pas la mienne a priori. Et je vais espérer qu’en fusionnant les deux, je vais pouvoir obtenir un résultat conséquent. C’est vraiment se mentir.
Je ne vois pas trop comment synthétiser mieux que ça le schéma, mais c’est vraiment ça. On va augmenter une réponse de stress.
Quand, par exemple, on se dit : « Je ne dois surtout pas refuser parce qu’en refusant, je vais me faire un ennemi de ce client en lui expliquant que je ne suis pas disponible demain », ou « Je vais me faire un ennemi de ce collaborateur parce que je lui explique que je n’ai pas envie de faire ce qu’il me demande de faire alors que c’est son boulot », ou encore « Je vais me faire un ennemi de ce manager en lui disant que je suis déjà débordé, etc. » Parce que de toute façon, je n’ai pas le droit d’avoir des émotions au boulot. Je dois faire ce qu’on me demande.
Sociologiquement parlant, on a remarqué à plusieurs reprises que dans l’entreprise, ce sont les gens qui en font le moins et qui se débrouillent pour en faire le moins qui sont les plus vite promus. Oui, ça me rappelle des souvenirs. Ce n’est pas anodin. Ce n’est pas une question de récompense par rapport à l’inaction. Cela fait appel à beaucoup de biais. Mais disons que si votre objectif c’est de croître dans votre carrière par l’intensité de votre travail et par votre capacité à accepter tout ce qu’on vous donne, vous vous plantez lourdement.
Stress et santé mentale des salariés
Magaly Siméon : Et alors, quand je me plante lourdement et que je génère du stress, comment cela impacte-t-il ma santé en tant que salarié ? À quoi cela se voit-il ? Disons que la santé des salariés est le miroir direct de la santé des entreprises.
Jean-Baptiste Baron : Ok, l’idée est de savoir pourquoi on répond avec du stress par rapport à toutes ces choses qu’on a à faire dans l’entreprise. Il se trouve qu’en 2023, nous avons derrière nous un peu plus de 50 000 années d’évolution de notre cerveau.
Et le truc, c’est que pour la très, très grande partie de cette période de 50 000 et quelques années, le cerveau a été conditionné à détecter les dangers et à y répondre le plus vite possible pour garantir la survie, la survie à la fois du corps qu’il dirige et, par extension, la survie du groupe auquel le corps appartient.
Autrement dit, c’est un réflexe génétique que le cerveau entretient depuis des millénaires que de se concentrer sur le négatif, même si aujourd’hui, en 2023, le négatif qu’on va vivre en entreprise n’a aucun rapport avec notre survie et celle du groupe. Je reconnais que dans certains cas, il peut y avoir des exceptions, mais là où il y a un vrai problème, c’est que derrière ce réflexe génétique, on a énormément de mal à trouver une réponse adaptée et satisfaisante. On me demande un truc, la réponse logique de survie serait de dire : « Laisse-moi la paix avec tes trucs. Je n’ai pas le temps ou je n’ai pas envie. » Et je dois dire oui, mais si je dis oui, je ne peux plus faire ça.
Et puis si je ne peux plus faire ça, je ne peux plus dormir. Et donc si je ne peux plus dormir, je ne pourrai plus faire ça, etc. Notre cerveau a horreur de ne pas avoir de réponse satisfaisante. Sans réponse, il va se mettre à tourner en boucle le problème dans tous les sens jusqu’à trouver la solution qui va calmer cette angoisse. C’est cette réponse émotionnelle qu’on appelle le stress.
La bonne nouvelle, c’est qu’on peut totalement entraîner notre cerveau à calmer cette angoisse et cette gamberge. La mauvaise nouvelle, c’est que quand on n’a pas entraîné notre cerveau à faire ça, on va avoir tendance à prendre beaucoup de très mauvaises décisions pour essayer de calmer les choses, et cela aura des conséquences sur notre gestion du temps, et, j’y arrive enfin, sur notre santé. Par exemple, on va moins dormir (je l’ai dit à l’instant) pour travailler plus, on va manger moins bien ou davantage pour compenser, on va se laisser tenter par l’alcool ou même des stupéfiants pour gagner cette impression de calme tant réclamée par notre esprit. Il faut quand même qu’on soit d’accord, en France, je ne sais pas si c’est un hasard, on est les champions du monde en termes de consommation d’anxiolytiques. Donc le lien avec la gestion du stress est clair : plus la santé, l’attention et l’efficacité des collaborateurs d’une entreprise vont chuter, plus les résultats de l’entreprise vont chuter également.
Magaly Siméon : C’est démontré ça, Jean-Baptiste ? Parce que moi j’aime bien quand c’est démontré. Si c’est démontré, ça va finir par monter au cerveau des entreprises.
Jean-Baptiste Baron : Il y a un problème derrière ce que vous dites. Non seulement c’est démontré, mais c’est d’une logique mathématique absolue. Si vous avez 100 collaborateurs qui produisent 100 chacun en une journée, vous avez 100 fois 100. Maintenant, si vos 100 collaborateurs sont tous en rade et ne produisent plus que 20, vous avez 100 fois 20.
Magaly Siméon : Et si je me fais l’avocat du diable, avant d’arriver à 20, il y en a qui vont compenser, il y en a qui feront 110. Ces effets délétères sur la performance de l’entreprise, qui vont être la meilleure façon pour les entreprises de bouger, ce sont des effets qui ne sont pas si bien quantifiés que ça dans les entreprises aujourd’hui, non ?
Jean-Baptiste Baron : Mais vous venez de donner la réponse sur pourquoi elles ne le font pas : il y a un effet de remplacement et de fatalisme par rapport à ces questions-là, qui dit : « De toute façon, lui, il était trop bon ou il était trop faible, tant pis. Le prochain qui le remplace fera le job beaucoup mieux. »
Et c’est aussi à cause de ça qu’il y a beaucoup de gens qui glissent subrepticement dans des burn-out qu’ils ne peuvent même pas réaliser eux-mêmes, ce qui fait qu’ils craquent complètement en espérant tenir la longueur, soit pour ne pas refiler la patate chaude à quelqu’un derrière eux, soit en espérant que les choses puissent se tasser, voire que les choses puissent être vues par la direction et qu’on dise : « Ginette, calme-toi, parce que là, on voit que tu es complètement cramée. » Ça ne se passe jamais comme ça. C’est un peu comme à la guerre : il y en a 10 qui tombent, il y en a 10 qui les remplacent et on continue. C’est toujours pareil.
Magaly Siméon : On en est là encore.
Signes avant coureurs de la surcharge mentale
Magaly Siméon : Et cela amène une question : moi qui suis dirigeante, mais aussi pour les managers, à quoi doit-on faire attention pour détecter des signaux avant-coureurs de trop de stress, de burn-out ou de trop de charge mentale ? Que dois-je regarder pour m’en rendre compte ?
Jean-Baptiste Baron : J’ai un tout petit peu mis le pied dans une question de culture. On a beaucoup parlé de qualité de vie au travail ces dernières années. Je pense qu’on a complètement passé la phase où les dirigeants et les RH pensaient qu’il suffisait de laisser les collaborateurs jouer au baby-foot de temps en temps pour qu’ils se sentent bien. Ça, c’était bien au début des années 2000. C’est fini aujourd’hui.
Disons qu’on a voulu apporter une réponse matérielle à une question qui était complètement psychologique et émotionnelle. Là où c’est coton, c’est que pour déceler les signes avant-coureurs, il faut savoir que ces signes qu’on cherche sont des signes émotionnels et psychologiques. Je l’ai dit un peu plus tôt, dans une culture d’entreprise où un des grands mots d’ordre est de dire que l’émotionnel n’a pas sa place au travail, ça va être très compliqué de trouver des signes comme ça.
Magaly Siméon : Ok.
Jean-Baptiste Baron : Et bien sûr, il ne s’agit pas de dire qu’il faut prendre les collaborateurs pour des enfants ou être un peu obséquieux avec eux, etc. Mais c’est juste d’installer, par exemple, une culture de libre parole et de considération radicale, où chacun va être libre de pouvoir dire qu’il ne peut pas assumer telle ou telle charge supplémentaire sans craindre des représailles ou des jugements.
Et à l’inverse, chaque manager doit être libre de dire à un collaborateur qu’il ne fait rien de ses journées, preuve à l’appui. L’idée justement, c’est de responsabiliser à fond les gens. C’est quand on ne responsabilise pas, c’est quand on ne laisse pas libres de leurs paroles, qu’on les considère comme des enfants. Et être traité comme un enfant alors qu’on est adulte, ça n’aide pas du tout à baisser le niveau de stress.
Plus concrètement et hors considération de culture managériale, les signes qui vont être à surveiller, par exemple, ce sont les heures d’arrivée et les heures de départ des collaborateurs. Voir qui arrive plus tôt, qui reste très tard, qui travaille le soir de chez lui, qui travaille le week-end, etc. Et là, la meilleure chose à faire justement, ça va être de demander ce qui se passe : « Je vois que tu restes super tard. Tu as besoin de plus de temps pour faire ton boulot ? Est-ce qu’on te charge trop ? » etc.
Différence entre les pays du rapport au temps de travail
Jean-Baptiste Baron : Le rapport au temps de travail varie d’un pays à l’autre. Au Japon, par exemple, si on veut bien se faire voir et gagner des promotions, il faut travailler beaucoup. Il faut être le plus présent possible dans l’entreprise.
En Suède, c’est l’inverse. Plus vous restez au bureau et plus vous serez suspecté d’être paresseux ou incapable de faire votre travail correctement, c’est très variable.
En fait, ce qui est intéressant, c’est que parfois, on a des entreprises qui utilisent ce que vous avez cité, comme les heures de départ, les heures d’arrivée, etc., comme des outils de contrôle pour s’assurer que les gens travaillent suffisamment dans une vision normative. Ce que vous dites, ce sont des éléments factuels qui doivent permettre de voir qu’on a un salarié à risque.
C’est ce que je pense de toute façon. À partir du moment où un outil est utilisé comme moyen de contrôle, les salariés savent que c’est un moyen de contrôle. Donc, ils trouveront toujours une manière de le contourner, ils vont travailler en perruque, ils vont faire semblant de bosser, etc. Si c’est un moyen de se dire : « Ok, on a donné un niveau de mission et on voit que dans le temps, les choses se font correctement », ça veut dire que le temps est nécessaire ou pas trop. Si on voit que les gens arrivent tôt le matin, bossent comme des fous et repartent très tard le soir, ça veut dire qu’on a beaucoup trop chargé et que donc, effectivement, soit on a très mal qualifié la personne (ça peut arriver), soit on a mal qualifié la mission qu’on lui confie. Dans ces cas-là, il faut requalifier pour que la personne soit plus à l’aise et un peu moins sous tension.
La considération radicale
Magaly Siméon : Vous avez utilisé une expression qui m’a interpellé et j’aimerais bien que vous nous la précisiez un peu. Vous avez parlé de « considération radicale ». Qu’est-ce que c’est ?
Jean-Baptiste Baron : C’est le fait justement de ne pas prendre les gens pour des enfants. Par exemple, un manager pourrait dire : « J’ai voulu accepter une mission supplémentaire parce que je trouvais le challenge intéressant, parce que j’ai bien aimé les nouvelles choses que je pouvais y apprendre ou la manière dont je pouvais m’y impliquer. Il se trouve que j’ai d’autres choses à faire derrière qui m’intéressent moins.
Est-ce qu’on peut reparler ouvertement de mes prérogatives et de mes missions parce que je me sens plus en adéquation avec ce que je suis en mesure d’apporter ? » Le fait d’être libre de poser la question et d’avoir une réponse objective et considérante par rapport à ça, je pense que c’est quelque chose qui manque aujourd’hui. Encore une fois, ce n’est pas éviter de prendre les gens pour des enfants ou dire qu’on installe une culture « bisounours ». C’est simplement être libre de la parole qu’on tient et des responsabilités qu’on essaye d’avoir en entreprise. Ce n’est pas parce qu’on est collaborateur qu’on n’a pas de responsabilité, au contraire.
Je trouve ça hyper intéressant parce que j’essaye d’appliquer ça dans mon entreprise. Ce que je constate, c’est que ce n’est pas forcément suivi d’effet. Il y a un peu un sujet émetteur-récepteur. Il faut dire, il faut tirer la sonnette d’alarme. Il faut alerter. C’est un peu comme si parfois les salariés n’y croyaient pas complètement ou ne s’autorisaient pas à… Qu’est-ce qu’on peut faire pour convaincre de l’authenticité de l’intention ?
L’importance de l’authenticité
Jean-Baptiste Baron : Spontanément, je pense à une mise en scène. C’est-à-dire que vous vous acoquinez avec quelqu’un qui va prendre le rôle de la personne qui va demander un truc un peu exubérant. Mais vous allez montrer par votre réponse que vous êtes droit dans vos bottes par rapport au cadre que vous aviez voulu installer au départ.
C’est le contre-pied de la manière dont les managers pouvaient payer des figurants dans les années 50, où le figurant venait une journée ou deux en faisant une connerie, le manager l’engueulait hyper sévèrement pour montrer que c’était lui le patron. Et comme ça, tous les autres collaborateurs se disaient qu’il ne fallait pas le chercher. Là, faites exactement l’inverse. Ça pourrait très bien marcher tout autant.
Des conseils pour réduire la charge mentale
Magaly Siméon : Il faut que j’y pense. Et alors, pour terminer, et ce sera le mot de la fin, si on revient à cette notion de contrôle du temps et de réduire la charge mentale, avez-vous quelques conseils pratiques à partager ?
Jean-Baptiste Baron : Je vais répondre avec la trame de l’accompagnement que j’utilise avec mes clients. C’est très simple. En premier, à chaque fois que vous vous apprêtez à faire une action, demandez-vous justement à quel objectif cette action va répondre. Si cet objectif est clair et déterminé, vous savez que l’action est pertinente, donc vous pouvez enchaîner. Si l’objectif, au contraire, n’est pas clair, voire pire, ce n’est pas le vôtre, vous avez intérêt à considérer ce que vous allez faire et le temps que vous allez y consacrer.
Ensuite, à chaque fois que vous vous apprêtez à faire une action, encore une fois, demandez-vous si c’est la première fois que vous allez faire cette action de cette manière. Si c’est le cas et que c’est conforme à votre objectif, allez-y, pas de problème. Si ce n’est pas la première fois que vous faites les choses comme ça, même si c’est conforme à votre objectif, demandez-vous si la méthode que vous avez utilisée a apporté les résultats que vous vouliez la fois précédente et si ça a été réalisé dans le temps que vous aviez à disposition. Si c’est le cas, allez-y. Si ce n’est pas le cas, demandez-vous pourquoi vous utilisez encore une fois un moyen qui n’a pas suffisamment fait ses preuves et trouvez un meilleur moyen d’atteindre de meilleurs résultats plus rapidement.
Enfin, et c’est le plus compliqué pour mieux appréhender vos objectifs et les moyens que vous mettez en œuvre pour les atteindre, je vous invite à considérer la phrase assez célèbre de Socrate qui dit : « Connais-toi toi-même » pour mieux comprendre quelles sont les motivations et les freins qui vous animent. Plus vous vous connaîtrez, plus vous affinerez vos objectifs et plus efficaces seront les moyens que vous choisirez et moins de temps vous consacrerez à la réalisation de vos objectifs, que ce soit dans votre vie professionnelle comme dans votre vie personnelle.
Magaly Siméon : Merci beaucoup, Jean-Baptiste.
Jean-Baptiste Baron : Avec plaisir.