Vous n’avez pas le temps d’écouter l’épisode ? Lisez-le
Introduction
Magaly Siméon : Dans cet épisode, je reçois Tiffany Cooper. Tiffany est illustratrice et autrice. Elle est surtout et avant tout engagée. Si vous voulez comprendre ce qui se joue au quotidien dans les vies des hommes et des femmes autour de la charge mentale, et pourquoi ça bloque trop souvent, c’est un épisode fait pour vous. Je vous souhaite une bonne écoute. Bonjour, Tiffany, bienvenue dans le podcast « Stop à la charge mentale ».
Bonjour, Magaly. Est-ce que tu veux bien te présenter pour nos auditrices et nos auditeurs?
Tiffany Cooper : Tout à fait. Alors je suis Tiffany Cooper, illustratrice et autrice depuis 10 ans. Je travaille pour la publicité pour des marques, mais je fais aussi des livres. J’ai écrit jusqu’ici six romans graphiques et un livre jeunesse. Je suis en ce moment en préparation pour d’autres livres. J’ai un angle qui, au départ, était celui de la mode et maintenant qui est plutôt un angle engagé et féministe.
La charge mentale expliquée par Tiffany Cooper
Magaly Siméon : Alors première question rituelle dans ce podcast pour toi, Tiffany, c’est quoi la charge mentale?
Tiffany Cooper : Alors la charge mentale, c’est quelque chose que j’ai découvert en me mettant en couple il y a sept, huit ans. C’est quelque chose qu’on a tous et toutes parce qu’on doit gérer notre travail, si on a des enfants, nos enfants, notre espace domestique. Mais qui s’amplifie quand on est en couple, pour la simple raison qu’on a été éduquées, les femmes, à surinvestir l’espace domestique et les hommes à le sous-investir. Et donc, les femmes qui se mettent en couple se retrouvent avec un déséquilibre total dans la gestion des tâches domestiques. Et c’est quelque chose qui pèse sur le romantisme des relations et qui amène d’ailleurs pas mal de couples à se séparer, pour finir.
Mais en tout cas, c’est quelque chose statistiquement porté plus par les femmes et qui a été démocratisé, notamment par l’illustratrice Emma il y a quelques années, qui a publié cette histoire et a fait exploser ça en France, et maintenant elle est citée par tout le monde. C’est vraiment elle qui a fait prendre conscience en mettant ce mot dessus d’un mal-être que vivaient toutes les femmes.
Les déséquilibres dans la répartition des tâches entre hommes et femmes
Magaly Siméon : Je vais reprendre ta formule « surinvestir dans la sphère domestique », pour toi c’est la mise en couple qui marque ça. C’est-à-dire, avant qu’on ait un homme dans notre vie, on s’en fout. Et une fois qu’on a un homme dans notre vie, avant même l’enfant, on commence à surinvestir. Je pense que quand on gère sa propre charge, vu qu’on le fait depuis qu’on est tout jeune, on ne se rend pas compte qu’il y a déséquilibre.
Tiffany Cooper : C’est effectivement de toute façon un peu stressant de devoir penser à ranger son appartement, gérer son travail, ses finances, etc. Mais c’est quelque chose dont on prend conscience, je pense, lors de la mise en couple. Parce que j’ai plus les chiffres exacts, mais le livre de Lucie, qui est « Le prix à payer », qui est le couple hétéro, coûte aux femmes en parle très bien.
C’est que les femmes, en se mettant en couple, gagnent sept heures de tâches domestiques et les hommes en perdent deux. Et ça montre que, on se dit « on se sent nous, femmes, c’est mon rôle, je dois », on est dans le rôle de carer du soin. Donc je vais faire en sorte que l’appartement soit vraiment bien, on prend en charge ce que l’homme nous laisse et le déséquilibre se crée à cet endroit-là.
Parce que du coup, l’homme s’habitue à ce que la femme prenne en charge ces choses-là, la femme, elle investit ce domaine-là. Il y a un sentiment d’injustice qui travaille à un moment où la femme finit, c’est un grand classique, par dire « tu ne fais rien, je fais tout ». Et la grande phrase qui ressort à chaque fois c’est « je t’ai rien demandé, t’avais qu’à le faire ». Sauf que ce que je monte dans mon livre, un street-homme qui est sur le sujet justement, c’est à dire les inégalités dans l’espace domestique.
Le truc, c’est que si on ne fait rien et en fait, c’est nous qui en pâtissons. Moi par exemple, à l’époque où j’étais en couple, quand il n’y avait plus de papier toilette, un jour je me suis dit « je vais attendre qu’il en achète ». Et j’avais même caché un paquet de mouchoirs derrière les toilettes en me disant « moi comme ça je peux m’essuyer, mais jusqu’où on va aller avant qu’il pense lui à en racheter ». On en est à ce genre de méthode.
Et finalement, trois ou quatre jours après, je ne sais pas comment, il avait trouvé du papier toilette et je me petais un câble. « Je suis allée en racheter quoi? » Et ça peut être pareil pour autre chose, c’est-à-dire que pendant deux jours, je ne sais pas comment broyer les dents. Moi ça me rend folle. En fait, on finit par s’impatienter et aller acheter les choses parce que nous, on aime que ce soit bien fait. La plupart, en tout cas, peuvent faire des généralités, peuvent faire ça. Et en fait, vraiment, il y a un déséquilibre à cet endroit-là.
En tout cas, il n’y a pas vraiment de méthode qui existent je trouve pour qu’ils prennent conscience. Moi je sais que la méthode ça a été de partir et c’est à ce moment-là de partager ma charge domestique. Mais sans ça, je ne sais pas comment font les femmes qui restent. Parce que c’est une vraie bataille d’arriver à faire prendre conscience aux hommes et de faire changer leur comportement dans le bon sens.
L’impact sur nos relations
Magaly Siméon : Mais quand je t’entends parler et ce que tu racontes fait très écho à des choses que j’ai pu dire, mais la question, finalement, c’est ces hommes avant nous, ils vivaient seuls et ils se lavaient les dents.
Est-ce que ça veut dire finalement, quand tu dis les femmes surinvestissent et les hommes sous-investissent, est-ce que finalement quand un homme se dit quelque part « ah, alors c’est peut-être dans son inconscient, je vis avec une femme et donc il y a des choses qui sont débranchées parce qu’elle va le faire »? Tu crois que c’est quelque chose de cet ordre-là? Ou alors je le vois aussi avec des copines, ou alors on prend tellement vite l’initiative que c’est facile pour eux de se dire « écoute, elle finira par le faire, et je ne m’investis plus dans cette sphère ».
Tiffany Cooper: Là je pense que c’est les deux. Je pense que c’est souvent des hommes qui ont été élevés, donc la plupart des hommes, que ce soit quelle que soit la génération, sont élevés, pareils en grande majorité par des femmes qui investissent dans la parentalité, et les hommes investissent… Alors c’est en train de changer avec la nouvelle génération, heureusement.
Et du coup, c’est des hommes qui en tout cas pour des gens de ma génération, les 30, 40 ans, ont pris l’habitude que leur mère s’occupe de tout. Et du coup, je pense que ça les choque pas qu’une femme s’occupe des choses à la maison. Et je pense que ça ne se débrouille pas mal, mais je pense que l’hygiène n’est pas forcément là. Je pense qu’en apparence, ça a l’air propre.
Mais je ne pense pas qu’ils en ont beaucoup qui prennent une brosse à toilette et qui mettent du vrai produit dans les toilettes pour nettoyer une fois par semaine leurs toilettes. J’en connais pas beaucoup qui font ça, en tout cas. Peut-être que les courses sont faites, mais en tout cas c’est juste gros. C’est horrible ce que je vais dire, mais c’est un peu mal fait, quoi. Oui, ils peuvent vivre, et peuvent vivre comme ça. Quand on vit à deux, il faut considérer l’autre et c’est important de… Je ne sais pas, c’est une question intéressante ce que tu dis, parce qu’il y a un truc de… Ils arrivent très bien à vivre sans nous.
Alors est-ce que c’est nous qui avons une certaine exigence? Certainement, certainement qu’on a une certaine exigence. On est aussi nous, les filles, élevées beaucoup dans cette idée du propre, du beau, du bien, tout ça. Mais du coup, ça entretient un cliché terrible parce que ça voudrait dire quoi? Que les hommes sont sales. Et moi je connais plein de couples où c’est l’inverse, c’est mes amies filles qui sont bordées et les mecs qui sont hyper, hyper clean et rangés.
On parle de statistique, statistiquement les hommes s’en fichent un peu plus que nous de vivre dans un truc moins propre, de moins bien manger. Ils sont moins élevés à cette idée de prendre soin d’eux. Nous, c’est aussi un truc, peut-être. C’est peut-être que le cœur est là, c’est que nous, les femmes, on nous apprend à prendre soin de nous, un soin, je mets des guillemets parce que c’est plutôt surveiller notre poids, surveiller ce qu’on mange, faire attention de notre apparence physique, etc.
Les hommes n’ont pas cette pression-là.
Donc, comme on est dans ce genre de matraquage psychologique depuis la plus petite enfance, nous, les filles, on est dans cette considération-là alors que les hommes, on leur apprend juste à être des hommes, c’est-à-dire à aller dans le monde et à explorer.
Mais on ne leur demande pas de mettre du mascara, de penser à leurs menstruations, de faire attention à porter de beaux vêtements.
Je pense que le déséquilibre, il est global. Le cœur de ça. Je pense que c’est l’éducation genrée. Je pense que c’est important d’apprendre aux femmes et aux hommes à prendre soin d’eux, mais pas de façon excessive, non plus que la charge esthétique. Elle doit être vraiment diminuée pour les femmes, peut-être amplifiée pour les hommes.
Je ne sais pas, prendre soin de soi. En fait, c’est quelque chose que tout le monde devrait faire : prendre soin de sa santé, de son alimentation, etc., de son corps et de son lieu de vie. Parce qu’en fait, la façon dont on traite son lieu de vie, ça parle de nous.
Et je pense qu’il faut qu’on apprenne aux hommes à plus se respecter, et à nous respecter, et peut-être aux femmes à lâcher prise. Parce qu’il y a un mot que tu as utilisé, je trouve assez fort. Tu as dit « mal fait ». Et en fait, il y a bien ce jugement qu’on a. Oui, on se fait par l’autre et je vois bien, ça fait écho.
Et finalement, on pourrait aussi se dire, ok, un homme vit tout seul. Il ne fait pas ses toilettes toutes les semaines et c’est ainsi. Et je partage vraiment ton point.
Et en même temps, c’est même étonnant, tu as raison quand on vient à deux, mais peut-être que notre notion de « mal fait » a comme corollaire un niveau d’exigence un peu trop élevé.
Et c’est exactement, il faut un peu rééquilibrer des deux côtés.
Après, moi là où je veux être vigilante, c’est que c’est un grand truc, comme m’a dit notamment quand j’ai commencé ce livre, il y a plein de femmes qui ont un peu acquis ce truc-là qui disent « mais c’est de ma faute parce que je suis trop exigeante ».
Et ça, par contre, ça m’énerve parce qu’au début, moi je le pensais. Il y a deux jours, j’ai rencontré une femme qui me disait « ah, moi j’ai eu ce problème dans mon couple, mais c’est parce que j’étais trop exigeante ». Et en fait, j’avais toute une mappemonde dans le décor, parce qu’en fait, c’est encore nous qui nous disons « ah, le problème, c’est bien de moi ». Est-ce qu’on voit les hommes, eux, se poser la question de se remettre en question? Il y a un moment où tout n’est pas de notre faute. Il y a un moment où ça les arrange bien aussi de désinvestir. Et eux, ils sont bien contents d’avoir des draps propres, d’avoir quelque chose à manger dans le frigo.
C’est les premiers à rouler des yeux en disant « manger ». Ou genre « oh, mais il n’y a pas assez de propre ». Bah en fait, parce qu’il faut le laver. Et en fait, il y a un moment où eux, ça leur plaît, ça plaît à tout le monde, de vivre dans un environnement propre. Mais ça demande des efforts et des efforts, ils doivent être faits des deux côtés. On ne peut pas blâmer les femmes, bien sûr qu’il y a une petite part de responsabilité des femmes, qui est peut-être qu’il faut qu’on lâche un peu prise, mais on n’arrivera à lâcher prise le jour où les hommes investiront davantage l’espace domestique.
Charge mentale : la double peine des femmes
Magaly Siméon : Mais je partage ton complexe, et vraiment, je partage aussi ce point que tu fasses un livre un jour sur « arrêtons de culpabiliser les femmes sur l’existence », parce que faudrait aussi, c’est un peu, c’est carrément la double peine. C’est carrément la double peine après.
Tiffany Cooper : Je pense qu’il y a une partie du changement qu’on peut porter, initié nous en étant plus détendue. C’est facile à dire parce que oui, on a le poids de la société. Moi, j’ai trois enfants, deux filles, un fils de 16 ans. Tu vois, quand tu l’as dit, ça fait écho le seul à la maison qui vous le frigidaire en il y a rien à manger ici. C’est lui, jamais, j’ai entendu mes filles dire ça et mon fils, c’est « qu’est-ce qu’on mange? » Et non « qu’est-ce qu’il y a à manger? » Et c’est pas comme ça? Ils ont été élevés là-dedans. Et parce que nous-même, on reproduit sans doute des façons dont nous-même on a été élevé, il faut déconstruire tout ça, plus 16 ans en plus, c’est un peu tard, ce n’est jamais trop tard, mais pour refaire tout et dire, en fait, tout le monde doit participer, etc. Ça a commencé très tôt et tu as évoqué en off tout à l’heure parlait de pédagogie, c’est la répétition.
C’est de la répétition. Et en fait, je pense que c’est quelque chose qu’il faut, il faut, on matraque les filles avec plein de messages, mais les garçons un peu moins. Et je pense que les garçons doivent, moi, mon fils, il y a plein de fois où je dis « tu peux débarrasser s’il te plaît? » « Non, tu peux le faire. » « Pas du tout, tu vas le faire? » « Non. » Il me dit « je suis fatigué », et je dis « mais moi, je ne suis pas fatigué, je ne suis pas fatigué. Moi aussi, j’ai travaillé, on est tous les deux fatigués. On vit ensemble, tout le monde participe. »
Alors mon matraquage à moi, c’est quand on vit ensemble, tout le monde participe. C’est des phrases comme ça. Ou en fait, je ne veux pas dire la manipulation, ce mot est horrible, mais c’est du matraquage, c’est-à-dire qu’on ne tape jamais personne, personne n’a le droit de taper tout le monde, et tu n’as le droit de taper personne. C’est des phrases que je lui répète en boucle.
Et quand on vit ensemble, que tout le monde participe pas, c’est une espèce de phrase superpuissante. Et du coup, vu qu’il le sait, il sait que c’est un reproche. Et du coup, quand je le dis, il se lève, il fait ce qu’il a à faire. Et je pense qu’il l’enregistrera pour plus tard. Mais effectivement, même s’il a quatre ans et qu’il n’a pas toute cette éducation, ce n’est pas un homme de 50 ans. Il faut quand même lui répéter, lui répéter, lui répéter. Puis à un moment, ça va devenir acquis.
L’impact sur notre éducation : l’éducation genrée
Oui, tu verras, tu verras l’usage. En fait, on les élève pas seuls nos enfants, et moi, c’est ce que j’ai constaté. Dire qu’il y a l’école, il y a les amis, il y a la famille, il y a les grands-parents. Et moi, je vois en trop, dans le cas de mon fils, parce que bon, il va détester, mais il n’écoute pas mon podcast. Ce n’est pas très grave. Lui, il y a en fait, pour moi, la zone qui est un peu compliquée, c’est ses copains et les parents de ces copains. Et donc, les mamans de ses copains, parce que mon fils, dans un environnement engagé féministe, dans tout ce que tu racontes encore hier soir, tu reviens, tu débarrasses la table, il débarrasse ce qu’il est assis, dit « non, tu enlèves tout ».
Donc, je vois bien. Alors là-dessus, je ne lâche pas le truc, c’est que tu n’es jamais vraiment toute seule à élever un enfant, et qu’il y a aussi des choses qu’il voit ailleurs, qu’ils entendent d’ailleurs et qui fait que ça ne veut pas dire, je pense que mon fils est plutôt éclairé pour un garçon, parce qu’il est très bien entouré par ses deux sœurs particulièrement.
Mais c’est un truc dont j’ai pris conscience, il avait huit ans où j’ai accompagné, alors c’est surtout des mamans qui font ça, que j’accompagne à la sortie à la piscine pour faire au moins une fois dans l’année. Et bien sûr, j’ai demandé à la maîtresse, alors ça se passe bien? Et elle m’a répondu « oui, très bien ». Bon, il est un peu bruyant, mais c’est normal. C’est un garçon.
C’était la première fois de ma vie que je constatais vraiment de façon indiscutable la vision dorée, en fait, dans l’enseignement. Et là, tu te dis, ok, donc si on dit ça de mon fils, qu’est-ce qu’on a dit aussi à mes filles ou à une fille? Ça doit être soigné. Et tu vois, et ce jour-là, vraiment, et c’était une prof, c’était un enseignant qui était top. Donc, c’est ça aussi qui est compliqué, qui était très bien, qui était, mais pour elle, les garçons, c’est pas soigneux. Les garçons sont turbulents, mais parce qu’on les laisse être turbulents, mais il y a des filles, mon fils, il vit avec une fille. Elle ne s’habille pas comme les petites filles avec des trucs roses et tout ça.
Elle a toujours des espèces de baskets un peu cool, elle a une grosse frange. Quand elle n’est pas contente, elle fait la gueule. J’aime bien, parce que petite fille, il faut qu’on arrête de les élever dans cette espèce de truc de petite fille et les garçons dans ce truc de c’est un garçon.
Donc, comme on dit en anglais, boys will be boys. Et c’est la limite de l’éducation de nos enfants, c’est-à-dire qu’il n’y a pas que nous qui les éduquons, et du coup, on peut juste faire au mieux. On peut juste faire mieux et leur donner les messages qui vont bien, etc., mais on ne peut pas tout contrôler.
Nos enfants seront ce qu’ils seront.
Je pense que déjà, ce qui est important, c’est d’être aligné avec ces valeurs, d’avoir conscience de tout ça et de passer ces messages-là, si possible, d’avoir un partenaire, ou en tout cas un co-parent, qui transmet les mêmes messages. Et moi, je sais que le père de mon fils, en tout cas, c’est ce qu’il fait, je pense en grande partie. Et du coup, si ce message vient des deux parents déjà, ça raisonne mieux que dans le nombre de foyers où c’est le cas, où la mère transmet des messages féministes, mais le père y rentre tard.
En fait, on montre par l’exemple. Oui, bien sûr. Par exemple, et donc, finalement, si c’est la mère qui fait l’aspirateur, la mère qui fait la vaisselle, la mère qui paie les courses et le père qui se met juste en de temps en temps et se met les pieds sous la table, eh bien, on a beau transmettre plein de messages, ça ne servira à rien parce qu’on montre par l’exemple comme dans l’entreprise.
Rééquilibrage des responsabilités domestiques
Magaly Siméon : Moi, je suis d’accord, moi je suis d’accord. Et donc, important Tiffany, tu as, tu as toi-même un podcast que tu as appelé « Va vers ton risque ». Je trouvais que c’est une très jolie formule. Et si je ne me trompe pas, la baseline, c’est « Plaidoyer pour une vie créative hors des schémas traditionnels ». Est-ce que tu peux nous dire, qu’est-ce que tu mets sous cette formule qui est à la fois à raisonner et en même temps qui a peut-être des échos très individuels et très personnels ?
Tiffany Cooper : Alors « Va vers ton risque », c’est l’extrait d’une citation de René Char que j’ai découverte parce qu’elle était sur le faire-part de naissance de ma meilleure amie quand j’étais ado. Bref, et il avait écrit : « Soyez ton bonheur, va vers ton risque à te regarder, ils s’habitueront. » Ça a toujours résonné chez moi parce qu’il y avait cette idée que peu importe ta différence et tes choix de vie et ce qui t’anime, peu importe si ça bouscule, vas-y. Et moi, je trouve que ça correspond bien à ma vie. J’ai fait des choix, je veux dire, je suis quand même artiste, je travaille souvent en pyjama et je dis ce qui me passe par l’esprit. Je dis quand je ne suis pas contente, je suis maman mais je suis séparée, donc je n’ai pas forcément collé au code, etc.
Mais globalement, les gens ont suivi, les gens s’habituent, et donc « Va vers ton risque » c’est quelque chose qui a été une ligne de conduite dans ma vie, de rencontrer d’autres gens qui vont vers leur risque aussi et de créer un podcast plein d’espoir. Écoute, en se disant « Ah, et puis c’est pas grave ton risque », genre le mec a fait une randonnée à pied autour du monde, ou des petites choses du type.
Elle a choisi de ne pas être mère, ou cet homme a décidé d’être drag queen, ou cette personne grosse a décidé de mener un combat contre la grossophobie. Ce sont des choses qui semblent petites mais qui ont une énorme importance et qui, en fait, ont un impact sur juste sortir du cadre d’une vie très hétéro-normée, stéréotypée à papa, maman, maison, job en CDI et crédit. Juste des modes de vie différents où la vie c’est peut-être autre chose. Et je voulais transmettre ces messages-là à travers mon podcast, inspirer d’autres gens à prendre des risques parce que la vie est tellement plus intéressante quand on prend des risques.
Se libérer des stéréotypes
Magaly Siméon : Et ça va être ma dernière question, justement, c’est le mot de la fin : pourquoi, pour toi, c’est aussi important d’aller vers ton risque ?
Tiffany Cooper : Parce que sinon, on s’ennuie. Il y a des gens pour qui c’est hyper confortable parce que c’est bien, d’accord, qu’elle est ton risque, il y a une vraie possibilité d’inconfort pendant au moins un moment. Tout à fait. Mais là, je vais citer Judith du Portail, qui est devenue une amie mais qui est aussi podcasteuse et qui dernièrement a une phrase sur son compte Instagram qui m’a vraiment parlé.
Elle dit : « Le confort, c’est le salaire de la norme. » Et ça m’a vraiment parlé, je me suis dit, mais bien sûr. Je sais, moi, j’ai été employée, et puis j’ai été en couple enceinte en disant : « Ça y est, je suis au bon endroit. Je suis dans un couple hétérosexuel, j’ai un homme qui va m’aimer toute ma vie. » Tu coches toutes les cases du conte de fées. Tu sais, bon, tout va bien. Tu vois ? Mais en fait, la vie est infiniment plus complexe que ça, le couple aujourd’hui, il est mis à l’épreuve, il a toujours été mis à l’épreuve.
Aujourd’hui, quand on n’est pas content, on s’en va. Aujourd’hui, les gens ne font plus le même métier toute leur vie, les gens font quatre cinq métiers différents au moins. Et en fait, je sais ce que c’est le confort de la norme, mais c’est aussi hyper étouffant. C’est-à-dire que c’est confortable parce que ça ne bouscule pas trop, mais je préfère l’inconfort émotionnel, physique, même financier, que ça peut être parfois de faire ses choix et d’être audacieux que l’ennui asphyxiant d’une vie très normale, très ordinaire.
Rajouter en conclusion, je pense aussi que c’est la seule façon de faire bouger la société, chacun en allant plus vers son risque et que, justement, on questionne cette vision normée parce qu’il y a peut-être des gens qui sont très heureux, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Et je pense que d’être capable à un moment donné de faire un peu un avant-goût risque par rapport au coût en termes de stress, de santé, de bien-être et de se dire finalement se conformer peut-être à un coût trop élevé. Et je pense que la diversité, elle va venir de là aussi, qu’on se pose la question : est-ce que c’est OK de me conformer ou pas ?
Et c’est pour ça que je voulais diffuser cette parole, effectivement, à un niveau sociétal, utiliser sa voix et sa parole pour transmettre des messages importants qui sont : on n’est pas obligé de coller à la norme, être différent, c’est OK. Et au contraire, questionner toutes les normes. Je veux dire, toutes les normes peuvent être questionnées. Ça ne veut pas dire qu’on va faire tout l’inverse, mais il faut explorer pourquoi ? Pourquoi je m’épile, pourquoi je fais un enfant, pourquoi je me mets en couple ?
En fait, même si au final on s’épile, on se marie, on se met en couple, etc. Peu importe, mais le questionner, se dire pour quelle raison je fais ça, qu’est-ce qui m’a amené tellement à faire ça, est-ce que c’est vraiment mon choix, est-ce que c’est vraiment mon envie, qu’est-ce que je risque réellement à faire différemment ? Et en fait, c’est questionner ça et transmettre ces messages-là, ça permet à d’autres personnes de se poser des questions et de faire avancer la société.
Magaly Siméon : Oui, effectivement, ce sera le mot de la fin. Merci.