Sophie Viger, l'informatique pour tous

Sophie Viger est la Directrice Générale de l’École 42, une formation en informatique entièrement gratuite, et ouvert à tous à partir de 18 ans, sans limite d’âge et sans condition de diplôme. 

Elle nous parle de sa vision de la pédagogie et de la place des femmes dans l’informatique. 

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Quel a été votre parcours pour devenir Directrice de l'École 42 ?

J'ai toujours été geek. Quand j’étais enfant, j’aimais faire tout comme les garçons. J’aimais les ordinateurs, les jeux de rôles, les jeux vidéos.
Nous avions un ZX81 à la maison, mais il avait évidemment été offert à mes frères car c'était les garçons. Cela ne m'a pas empêché d'y jouer, et à mes 10 ans, j'ai appris le langage informatique BASIC. 
Après mon BAC, j’ai fait des études de biologie. En même temps, je devais m’occuper de mes frères car mes parents étaient à l’étranger. Puis j’ai changé d'orientation pour la musicologie où j’ai découvert la musique et l’informatique.
J’ai ensuite fait une formation à l’IESA pour être concepteur développeur multimédia, où je me suis révélée être très douée. J'y suis rapidement devenue professeur dans la programmation. Puis j’ai travaillé dans différentes sociétés dans le multimédia, j’aimais les challenges... mais je revenais souvent à la formation, que j'affectionnais particulièrement.
En 2004, j’ai eu une fille dont je me suis occupée pendant 3 ans puis je suis retournée à l’IESA en tant que directrice pédagogique tout en donnant des cours de programmation.
En 2013, je suis devenue directrice de la Web@cademy, première école créée gratuite pour les jeunes sortis du système scolaire. J'y ai créé en 2016 une filière pour les femmes, Ambition Féminine, qui est composée de promotions de 30 à 80% de femmes. Puis j’ai monté une 2ème école (Samsung Campus) puis une 3ème école (Coding Academy by Epitech). J’ai dirigé ces trois écoles jusqu’en 2018.
En 2018, j’ai eu l’opportunité d’être nommée Directrice Générale de l'École 42.

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L'École 42, qu'est-ce que c'est ?

L'École 42 est un OVNI dans le système de l'éducation en France.

Nous partons de plusieurs constats : 
il y a un décalage énorme entre les formations et les besoins en entreprise, l’école favorise le calcul et la mémoire, mais les ordinateurs le font mieux que nous ! ce ne sont pas des compétences à valeur ajoutée humaine. 
L’ascenseur social en France fonctionne moins bien qu’avant. l’école est censée diminuer les inégalités mais aujourd’hui elle les accroît.
Chacun sera amené à travailler dans plusieurs domaines, et une brique digitale tend à s'ajouter à beaucoup de métiers.

C'est pour cela qu'à 42, nous tablons sur une formation accessible et ouverte à tous : sans condition de diplôme, pour tous les âges.

Nous luttons contre toute forme de discrimination sociale. Tout le monde à sa chance, la motivation et le potentiel sont les seuls critères requis. Nous formons ensuite des gens capables de travailler ensemble, d’avoir un sens critique, et d'être créatifs. 

En 2018, nous avons définitivement éliminé la limite d'âge de 30 ans pour intégrer l'École, et cela a eu une conséquence majeure : + 40% de femmes dans l'école. Nous avons également mené une expérimentation avec Pôle Emploi Senior : parmi les personnes sans emploi depuis plus de 4 ans qui ont réalisé une formation d'un an dans notre École, 75% d'entre eux ont retrouvé un emploi. 

La méthode pédagogique est également particulière. Elle est basée sur du peer learning et du peer correcting. Les étudiants et étudiantes apprennent ensemble : il n'y a pas de professeur, pas de cours, pas de MOOC. Nous avons constitué un parcours pédagogique qui propose des problèmes, du plus simple au plus compliqué. Il s'agit d'un parcours gamifié.

Ce sytème oblige les apprenants à échanger avec les autres, à se renseigner eux-mêmes. Cela leur permet de se reconnecter avec leur responsabilité, d’aller chercher dans un corpus plus large de données, et de trouver des manières singulières de résoudre des problèmes, ce qui favorise l’innovation.

Il s'agit donc d'un système très vertueux. Notre école peut se targuer d'une grande diversité des genres, d'une forte bienveillance et d'une réelle solidarité. Nous avons 69 nationalités différentes à 42.

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Quelle est votre mission dans tout ça ?

Je souhaite faire sortir 42 d’un confinement geek, pour donner à voir à tous les profils qu’ils ont la possibilité de se tourner vers 42. Cela concerne en particulier les femmes et les populations fragilisées.

Il nous importe pour cela d'essayer de lever les freins à l’apprentissage : qui relèvent souvent du mépris de soi.

Nous nous attelons à un gros travail sur la mixité : grâce à la mise en place de plus de 35 mesures, nous constatons un accroissement de + 50% de femmes en un an.

Enfin, je souhaite déployer l’école à l’international.

Ma mission est tournée vers les individus, mais aussi vers la société toute entière : quand on sait que des populations similaires règles les problèmes de tout le monde, il est important de redonner une voix à tout type de population pour injecter de la diversité dans l’innovation.

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Vous êtes membres de l'association Jamais sans Elles. Pouvez-vous nous en dire deux mots ?

Les différences de traitement entre les hommes et les femmes sont encore très fortes :
Les femmes n'ont eu qu'accès récent aux études supérieures.
Il existe une division socio-genrée des domaines professionnels et éducation : culture et social pour les femmes, business et informatique pour les hommes Culturellement, les injonctions sont fortes : on demande aux garçons d’être forts et aux filles d'être parfaites, ce qui les coupe de l’innovation et de l’entreprenariat.
Les rôles modèles sont encore très présents : culturellement, dans les manuels scolaires, à la télé, les experts sont des hommes. 

Il faut donc redonner de la représentativité aux femmes dans les domaines de l’expertise. Mais on ne peut pas s’appuyer que sur les femmes : elles ont plus de difficultés à prendre la parole et à prendre des risques que les hommes. Il faut instruire les femmes, et s’appuyer sur la collaboration des hommes. Avec l'association
Jamais sans Elles, les hommes s’engagent à ne plus participer à des conférences ou tables rondes dans lesquelles il n’y a que des hommes.

l’alignement entre ce qui est dit et ce qui est fait